Une opportunité pour les agricultures ultra-marines : les plantes multi-usages - Analyse n°188
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Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.
Les agricultures ultra-marines font face aujourd’hui à de multiples changements. Leurs finalités et leurs impacts sur les socio-écosystèmes sont discutés localement. Fruit d’un travail collectif mobilisant un groupe d’experts, cette note traite de la contribution possible de la culture des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) à la durabilité économique et environnementale de ces systèmes agricoles, du fait de leurs usages diversifiés.
Introduction
Les modèles agricoles ultra-marins connaissent de nombreux signes d’essoufflement. Ils reposent largement sur des cultures industrielles, en premier lieu celle de la canne à sucre qui représente 74 % des terres arables en Guadeloupe et 81 % à La Réunion1. Ces agricultures impliquent une forte concentration des facteurs de production et elles ne répondent pas aux critères de durabilité priorisés par l’action publique et par de larges fractions des sociétés locales2. La recherche d’une plus grande attractivité des jeunes et l’augmentation du revenu de la plupart des actifs, en leur permettant de développer la transformation de leurs productions, figurent parmi les défis3 que doivent relever ces mondes agricoles pour assurer des productions, des activités et des métiers durables.
Cette note s’intéresse aux contributions possibles des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) en réponse aux enjeux d’évolution des agricultures aux Antilles, en Guyane, à Mayotte et à La Réunion. Ces plantes présentent un double intérêt. En premier lieu, certaines sont inscrites à la pharmacopée française et nombre d’entre elles ont un fort potentiel pharmaceutique4. Elles auraient de plus vocation à diversifier les exportations locales.
Les PPAM sont commercialisées sur des marchés de niche dynamiques. Pour la France5, celui du bien-être (phytothérapie, infusions, compléments alimentaires) était estimé en 2020 à
3 milliards €, le double de ce qu’il était en 2010. Pour le secteur cosmétique, la valeur des ventes de produits naturels et biologiques s’accroît (900 millions € en 2019). Le secteur agroalimentaire (PPAM fraîches, surgelées ou incorporées dans des arômes) présentait un chiffre d’affaires
de 624 millions € en 2019 (+ 59 % par rapport à 2011). Plus généralement, dans les 16 pays caribéens, la production reste contenue (37 000 tonnes en 2020, ce qui est toutefois bien supérieur à la production métropolitaine s’élevant à 3 819 tonnes6), mais elle a augmenté de
64 % depuis 2009. Le marché des PPAM dans la Caraïbe est ainsi jugé « porteur » par les experts du COLEACP7.
Les savoirs locaux, qui recouvrent différents registres de connaissances des milieux et de leurs ressources, peuvent jouer un rôle important dans ces dynamiques. Ils peuvent être relatifs i) à la plante et sa culture (écologie, modes de production), ii) à la récolte et à la cueillette (identification des espèces et variétés, toxicité potentielle, etc.), iii) aux usages des parties des plantes (substances naturelles actives, propriétés phytochimiques et pharmacologiques), ou iv) à la fabrication des produits.
La valorisation des PPAM peut-elle contribuer à la promotion de systèmes productifs plus favorables à la santé des écosystèmes et des populations dans les Départements et régions d’outre-mer (DROM) ? Quels sont les savoirs locaux mis en œuvre et quelles opportunités de développement représentent-ils ? Sont-ils une ressource pour l’innovation et à quelles conditions pourraient-ils constituer un gisement de valeur pour les exploitations ?
Pour traiter ces différents aspects, un petit groupe de travail a été formé, réunissant Valérie Boisvert (université de Lausanne), Nicolas Lainé (Institut de recherche pour le développement, IRD), Harry Ozier-Lafontaine (INRAE) et Nathalie Kakpo (CEP). Réuni à trois reprises, en avril et mai 2022, il s’est appuyé sur des résultats d’entretiens, une exploitation du recensement agricole (RA) 2020 et une analyse de la littérature. Dès la première séance, le périmètre des végétaux étudiés a été précisé : la catégorie des PPAM, trop étroite pour embrasser la diversité des plantes tropicales et de leurs usages, a été incluse dans un ensemble plus large comprenant les fruits tropicaux et les palmiers à huile. Par la suite, le terme « plantes multi-usages »8 a été privilégié. Par ailleurs, si de nombreux spécialistes privilégient l’étude de plantes issues de la biodiversité sauvage, en quête de nouvelles propriétés d’intérêt, le groupe a lui choisi de se concentrer sur l’agrodiversité locale, partant de l’idée que d’importants gisements d’innovations peuvent être associés à des systèmes de cultures « classiques ».
La première partie souligne les différences entre les PPAM, traditionnellement associées à trois usages (alimentaire, cosmétique, bien-être), et les plantes multi-usages, qui en cumulent une dizaine. La seconde partie présente des exemples de productions et réalisations ultra-marines en la matière. En conclusion sont évoquées des pistes d’action pour renforcer la contribution des PPAM à la performance et la durabilité des agricultures ultra-marines.
1) Des PPAM aux plantes multi-usages
L’étude de la documentation disponible montre le caractère partiel des données sur les PPAM, mais aussi et surtout les nombreux atouts que présentent les plantes multi-usages.
Des données incomplètes
Il n’est pas possible de rendre compte de l’ensemble des activités de production et de transformation des PPAM, dans l’Hexagone comme dans les outre-mer. Les données sur la cueillette sont incomplètes. De plus, les informations sur la nature et la plus-value économique des procédés de transformation sont souvent partielles.
La documentation existante donne toutefois des éclairages diversifiés sur les PPAM d’outre-mer. Des rapports administratifs9 mettent en évidence le potentiel de création de valeur, mais aussi la concurrence de pays commercialisant des produits de qualité égale à un prix inférieur, et l’isolement des acteurs qui « ne font pas filière »10. La vanille (Vanilla planifolia) et l’ylang-ylang (Cananga odorata) sont fréquemment étudiés11, tandis que le réseau caribéen Tramil teste et valide les usages traditionnels des plantes médicinales dans une perspective de santé publique.
D’après le RA 2020, 15 espèces sont cultivées dans les DROM, sur une surface agricole utilisée (SAU) de 1 340 hectares. 13,8 % des exploitations ultra-marines (3 688) produisent des PPAM, La Réunion étant à la première place. Par ailleurs, le RA identifie 54 exploitants producteurs d’huiles essentielles. Ces structures sont de taille économique petite à moyenne, avec une production brute standard inférieure à 100 000 euros annuels.
Des PPAM aux plantes multi-usages
Les PPAM doivent être replacées dans un ensemble plus large, celui des plantes multi usages. La nomenclature PPAM écarte en effet plusieurs végétaux cultivés, organes de la plante transformés et produits commercialisés comme par exemple les palmiers à huile et les fruits tropicaux (atoumo, maracudja, banane). Le concept de plantes multi-usages élargit le périmètre des valorisations possibles, répondant à plusieurs fonctions : alimenter ; nettoyer et parfumer les corps ; soulager certains maux des humains ; colorer ; stimuler ou détendre ; protéger les végétaux et les animaux12, fonctions peu prises en compte dans les différents travaux sur les PPAM13.
Les plantes multi-usages participent aussi à la multifonctionnalité de l’agriculture. Ce périmètre élargi se conjugue bien avec une approche systémique de la production agricole, recherchant les bénéfices réciproques entre les espèces et les activités d’une exploitation, dans le cadre de pratiques agro-écologiques. Une telle approche peut augmenter la rentabilité des petites surfaces, une même plante permettant des transformations et usages parallèles. Illustrant ce changement de perspective, la figure 1 décrit d’abord la logique de filière de valorisation des PPAM, puis l’approche plus intégrée associée aux plantes multi-usages.
Figure 1 - PPAM (a) et plantes multi-usages (b) : deux approches différentes
de la production agro-industrielle
Source : auteurs
Lecture : la valorisation des PPAM est traditionnellement envisagée dans le cadre d’une filière. Définie par un périmètre « produit », celle-ci n’offre pas nécessairement un cadre favorable pour envisager les synergies entre productions diversifiées, activités, sphères marchande et non-marchande, etc. Le schéma rend visible ce fonctionnement en silos.
Source : auteurs, à partir de publications agricoles (fiches techniques de chambres d’agriculture) et d’entretiens avec des experts.
Lecture : l’approche systémique des plantes multi-usages permet d’envisager le développement, autour d’une même plante, d’une pluralité de productions, d’activités et de savoirs. Leurs interactions constituent une source potentielle de création de valeur, plus importante que dans l’approche en filière.
De plus, le développement des plantes multi-usages implique des activités d’agro-conception (identification des interactions agronomiques ou économiques entre plusieurs pans de l’activité agricole), susceptibles de répondre aux attentes des jeunes repreneurs, qui envisagent une pluralité d’activités au sein de leurs futures exploitations. Il peut aussi créer de nouveaux métiers ou contribuer à la diversification des professions existantes.
Les usages de ces végétaux s’inscrivent dans des cadres juridiques variés. Selon le
décret n° 2008-841 du 22 août 2008, la vente de plantes médicinales est le monopole du pharmacien à l’exception de 148 plantes qui « peuvent être vendues par des personnes autres », en raison de leurs usages alimentaire et cosmétique. Commercialisées, elles ne pourront cependant pas faire l’objet d’allégations thérapeutiques. De son côté, l’arrêté du 24 juin 2014 définit les 546 espèces commercialisables en tant que compléments alimentaires. La valorisation dans le domaine cosmétique est plus aisée, même si elle fait l’objet de contrôles a posteriori. L’établissement de production doit être inscrit auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), et le fabricant doit y déposer, avant la commercialisation, un Document information produit (DIP).
L’agrodiversité existante
La biodiversité sauvage est souvent envisagée comme source de nouveaux ingrédients cosmétiques ou de compléments alimentaires. Pourtant, développer des activités pérennes à partir de plantes sauvages exige souvent de les mettre en culture. Ces plantes sont souvent issues de milieux vulnérables et pourraient être sérieusement menacées par une augmentation de l’exploitation. Elles sont aussi menacées par la sécheresse et la déforestation, donc vulnérables, ou utilisées traditionnellement par divers groupes de populations, ce qui soulève des questions de propriété intellectuelle. À l’inverse, les plantes tropicales cultivées sont suffisamment diverses pour permettre de multiples valorisations, échappant à certains de ces écueils. Par exemple, l’entreprise Biosavane commercialise 84 produits végétaux en Guyane. Une soixantaine de plantes sont cultivées en Guadeloupe ; 72 a minima le sont à La Réunion (RA 2020). Ces valorisations requièrent de capitaliser les connaissances et les pratiques locales et exogènes, de réduire les sources d’aléas et de vulnérabilité écologique, agronomique et économique.
2) Activités, productions et acteurs ultra-marins
Les acteurs impliqués dans la production et la valorisation des plantes multi-usages sont nombreux et s’appuient sur une diversité de savoirs mobilisés et de produits finis créés.
Les acteurs de la production et de la transformation
En premier lieu viennent les cueilleurs. En Guyane, la collecte à vocation commerciale pour les citadins cherche à valoriser les pratiques phytothérapeutiques locales. Les cueilleurs domestiques recourent aux plantes pour pallier leurs difficultés à accéder à la médecine conventionnelle ou préparer des remèdes d’appoint. Dans les outre-mer, plus qu’ailleurs, la commercialisation des produits de la cueillette peut être associée à une appropriation inéquitable des ressources de la biodiversité et des savoirs associés (biopiraterie). C’est la raison pour laquelle la Collectivité territoriale de Guyane a montré sa préférence pour des filières économiques à partir de la production agricole14.
La deuxième catégorie d’acteurs comprend les producteurs agricoles, isolés ou réunis en coopératives. Ils produisent, récoltent, trient et stockent la matière première végétale et procèdent parfois à une première transformation (séchage). D’après le RA 2020, la majeure partie des 3 688 exploitations cultivant des PPAM dans les DROM ne les transforme pas. Ces plantes constituent en général une partie minoritaire de la production, à côté des fruits, légumes et tubercules. Par ailleurs, 5,3 % de ces exploitations sont certifiés en agriculture biologique ou sont en voie de conversion, la grande majorité étant située à La Réunion.
Viennent ensuite les producteurs-transformateurs. Certains se regroupent au sein d’organisations. Par exemple, la coopérative des huiles essentielles de Bourbon transforme une partie de la production réunionnaise de PPAM et la commercialise, comme le fait également l’entreprise Habemus papam pour la fabrication d’infusettes de plantes. Ailleurs, les acteurs sont plus atomisés. La Guyane et la Guadeloupe n’abritent pas à l’heure actuelle d’organisations structurant la production de PPAM, même si l’interprofession des filières végétales de Guyane se porte candidate.
La dernière catégorie rassemble les transformateurs, fabricants de produits cosmétiques ou alimentaires, comme PhytoBokaz dans les Antilles ou François Rossolin à La Réunion. Une enquête de l’association GADEPAM montre qu’ils représentent 14 % des acteurs impliqués dans la filière PPAM en Guyane. Enfin, certains, insatisfaits de la qualité et de la quantité des approvisionnements, s’impliquent dans la production agricole pour pallier ces difficultés.
Des productions diversifiées de petite échelle
Au moins une cinquantaine d’espèces font l’objet de deux usages voire plus. Celles mentionnées dans le tableau 1 sont emblématiques de leurs territoires et à l’origine d’un large éventail de produits finaux.
Tableau 1 - Quelques plantes utilisées en cosmétique, alimentation, bien-être humain et animal, protection végétale
Source : auteurs
Parmi les produits issus des plantes muti usages, se distinguent les compléments alimentaires comme le sirop d’atoumo (Alpinia zerumbet) et l’arrow root (Maranta arundinacea), portés par un marché très dynamique. Les graisses végétales constituent une deuxième catégorie d’intérêt, pouvant se substituer aux huiles alimentaires importées de métropole ou de pays voisins.
Les réalisations ultra-marines mobilisent néanmoins des moyens de transformation modestes, les équipements variant selon les territoires. La Réunion abrite des outils avancés de distillation, de fabrication des infusettes (séchage, conditionnement et ensachage) mais, comme la Guadeloupe, elle ne dispose pas d’extracteurs adaptés. La Martinique doit son meilleur niveau d’équipement au Pôle agroressources et de recherche de Martinique (PARM), financé par des fonds publics.
Les volumes de production et les résultats économiques sont aussi, d’après les entretiens réalisés, modestes. Par exemple, le rendement moyen de la culture de vanille à Mayotte est de 180 kg/ha, alors qu’il peut atteindre 800 kg/ ha à Madagascar. Le cours de revente locale est très variable et inférieur au cours mondial. Dans la majeure partie des cas, la seule culture des PPAM ne garantit donc pas à l’agriculteur un revenu couvrant ses besoins familiaux.
Savoirs locaux et innovation
Dans les sociétés ultra-marines, l’utilisation de plantes pour compléter la médecine, à des fins de bien-être ou de cosmétique, est répandue15 : la valorisation des plantes multi-usages s’appuie sur des interactions constantes entre différents registres de savoirs. Ceux-ci sont diversement mobilisés, pour les mettre à l’épreuve de la validation scientifique ou pour les faire connaitre et en assurer la conservation. Par exemple, l’entreprise Bio Stratège se fait l’écho de travaux scientifiques sur la possible toxicité de la marie-crabe (Lantana camara), utilisée traditionnellement en Guyane.
La densité de ces interactions tient à trois facteurs : le caractère insulaire des territoires (mis à part la Guyane), qui favorise les relations entre personnes et groupes ; une forte présence de la recherche publique (Cirad, CNRS, Ifremer, INRAE, IRD) ; un maillage serré d’organisations et de politiques agricoles qui encadrent l’agriculture. Le lien entre insularité et densité des savoirs locaux n’est pas nouveau : par exemple, confrontées à l’insécurité alimentaire, les populations mélanésiennes ont tiré parti des écosystèmes naturels, le grand nombre d’espèces végétales et la faible densité d’individus favorisant une utilisation exhaustive des plantes16.
La mobilisation de ces savoirs dans la production et la transformation des plantes multi-usages contribue parfois à l’innovation. Ainsi, confrontés à la résistance de parasites aux molécules chimiques, des chercheurs ont testé avec succès les effets de feuilles de manioc sur des pathologies touchant des ovins17, en partant des travaux du réseau Tramil. Néanmoins, ce dialogue multilatéral autour des savoirs locaux repose sur un faible nombre d’acteurs marchands aux moyens financiers limités.
Trois zones de risques dans la chaîne de valeur
La première difficulté que rencontre le producteur de plantes multi-usages tient à sa fréquente méconnaissance des marchés. Les débouchés sont incertains, temporaires, en particulier dans l’industrie cosmétique : en général, l’ingrédient qui porte les propriétés actives d’une crème est utilisé dans celle-ci durant 5 ans maximum. Par ailleurs, le choix des espèces à cultiver doit intégrer la prévention des risques sanitaires et les obligations qui échoient au fabricant. Dans ce contexte, l’agriculteur est peu enclin à prendre des risques avec de nouvelles productions, et la spécialisation agricole parait périlleuse.
Un deuxième risque concerne la capacité des professionnels à approvisionner un donneur d’ordre. Les rendements peuvent être irréguliers et les phases de récolte non-maîtrisées, compromettant ainsi la formation des matières odorantes.
Enfin, les productions ne sont pas toujours conformes aux exigences qualitatives des marchés. Les parties prenantes ont des acceptions différentes de ce qu’est ou devrait être la qualité du produit, et les référentiels partagés manquent18. Or, la qualité du produit conditionne toute transaction, et octroie ou dégrade le pouvoir de marché du producteur.
Conclusion
Les plantes multi-usages concourent à la diversification des agricultures ultra-marines, à leur modernisation en favorisant l’installation d’équipements d’agro-transformation et à leur écologisation en tant que « plantes de services » en substitution à des intrants de synthèse pour la protection des végétaux et des animaux.
Pour développer, demain, leur contribution à la durabilité des agricultures ultra-marines, et notamment à une plus grande création de valeur au sein des exploitations, trois registres d’action sont prioritaires. Tout d’abord, les savoirs locaux sont sous-estimés, ils sont fondés sur l’expérience et l’adaptation à un environnement socio-écologique spécifique, et mériteraient donc d’être identifiés et valorisés. Chaque forme de savoir local cohabite avec d’autres régimes de connaissance, profanes ou experts. Afin d’éviter toute appropriation, il conviendrait dans un premier temps de mettre au jour leur logique interne et leurs dynamiques : acteurs en présence, outils, gestes, représentations, etc., qui forment un système propre. Il faudrait ensuite considérer la manière dont ils s’agencent avec d’autres formes de connaissances et de savoirs (notamment technoscientifiques).
En outre, la mobilisation des savoirs lors de la mise en marché des produits pourrait renforcer l’intérêt des consommateurs régionaux ou de l’Hexagone pour les produits ultra-marins et constituer ainsi un facteur de compétitivité hors coût. Ces savoirs locaux pourraient aussi être formalisés et enseignés auprès des plus jeunes.
Pour minimiser leur dépendance vis-à-vis des acteurs de l’aval, les producteurs devraient être accompagnés dans le développement de gammes de valorisation, visant des débouchés locaux, régionaux et internationaux, selon une logique de diversification et non de spécialisation. Synthétisés, labellisés et promus au moyen de signes officiels de qualité, reconnaissant les terroirs et les processus de transformation, tout en assurant le respect des normes sanitaires19, les savoirs locaux pourraient alors participer de la valeur des exploitations en tant qu’actifs immatériels.
Le troisième et dernier registre d’action possible concerne les itinéraires techniques agricoles et agroforestiers. Mieux maîtrisés, ceux-ci favoriseraient un meilleur rendement à l’hectare, tandis que la mutualisation de l’achat d’équipements de transformation diminuerait les coûts de production.
Dans tous les cas, intégrer les plantes muti-usages dans la recherche d’une meilleure compétitivité des systèmes agricoles et alimentaires ultra-marins est souhaitable. Pour les exploitations de petite échelle, ces plantes pourraient participer à une double valorisation : agro-écologique dans les associations culturales ; économique et commerciale avec une plus-value significative pour la viabilité de ces exploitations.
Valérie Boisvert
université de Lausanne
Nathalie Kakpo
CEP
Nicolas Lainé
IRD
Harry Ozier-Lafontaine
INRAE
1 Graph’Agri, 2022, L’agriculture, la forêt, la pêche et les industries agroalimentaires.
2 Ozier-Lafontaine H. et al., 2018, De l’agroécologie à la bioéconomie, Note d’orientation sur les agricultures d’outre-mer, Académie d’agriculture de France.
3 Marzin J. et al., 2021, Étude sur les freins et leviers à l’autosuffisance alimentaire : vers de nouveaux modèles agricoles dans les départements et régions d’outre-mer, Cirad.
4 Labbé J. et al., 2019, Rapport de la Mission sénatoriale d’information sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, des filières et métiers d’avenir.
5 FranceAgriMer, 2021, Marché des plantes à parfum, aromatiques et médicinales. Panorama.
6 Ibid. et FranceAgriMer, 2020, Marché des plantes à parfum, aromatiques et médicinales. Panorama.
7 COLEACP, 2022, Market study of fruit and vegetables from ACP-Caribbean countries.
8 Ilboudo Z. et al., 2022, « Le management des connaissances liées aux usages des plantes », dans Profizi J.-P. et al., Biodiversité des écosystèmes intertropicaux, IRD.
9 Colas F., Thibault H.-L., 2021, Quels leviers pour développer la bio-économie des produits biosourcés en outre-mer ?, CGAAER ; Labbé J., 2019, op. cit.
10 Zaremski A., Amusant N., Zaremski C., 2022, Bilan du colloque « Arbres et autres plantes de la cosmétopée ».
11 DAAF Mayotte, 2017, Conjoncture et évolution des prix des produits agricoles. État des lieux de la filière ylang à Mayotte, Agreste, n° 74.
12 Boulogne I. et al., 2012, « Insecticidal and antifungal chemicals produced by plants : a review », Environment Chemistry Letters, n° 10, pp. 325-347.
13 Par exemple, les Panoramas des marchés de FranceAgriMer des années 2018, 2019 et 2020 mentionnent seulement les secteurs santé, beauté, bien-être et agroalimentaire, à destination des populations humaines.
14 Dejouhanet L., Pinton F., « Les producteurs-cueilleurs de plantes aromatiques et médicinales (PAM) en France hexagonale et en Guyane : convergences, singularités et enjeux », article à paraître.
15 Tareau M.-A., 2019, Les pharmacopées métissées de Guyane : ethnobotanique d’une phytothérapie en mouvement, thèse de doctorat, université de Guyane. Voir aussi un podcast du Journal du CNRS : https://lejournal.cnrs.fr/audios/le-jardin-extraordinaire-de-la-pharmacopee-guyanaise
16 David G., 2021, « Petit voyage océanien autour de l’île en tant qu’hérésie géographique », L’Information Géographique, 84, p. 25.
17 Marie-Magdeleine C. et al., 2020, « Nutraceutical properties of Leucaena leucocephala, Manihot esculenta, Cajanus cajan and a foliage blend in goat kids infected with Haemonchus contortus », Scientific Reports.
18 Dejouhanet L. et al., 2022, « Building a value chain with a wild plant : lessons to be learnt from an experience in French Guiana », Environment Science & Policy, 138, pp.162-170.
19 Boisvert V. et al., 2007, « Valorisation économique des ressources et nouveaux marchés », dans Aubertin C. et al., Les marchés de la biodiversité, IRD.
Voir aussi
Notes et études socio-économiques n°49
22 octobre 2021Prospective
La lutte contre les maladies animales dans le contexte du changement climatique - Analyse n° 184
14 mars 2023Prospective
Évaluation du Plan Banane Durable 1 : résultats et perspectives - Analyse n°83
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L’agroécologie : des définitions variées, des principes communs - Analyse n°59
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