La lutte contre les maladies animales dans le contexte du changement climatique - Analyse n° 184
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Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.
Caractérisé notamment par une hausse des températures, le changement climatique bouleverse l’ensemble des écosystèmes. Le métabolisme des animaux est affecté et des maladies transmissibles peuvent apparaître ou ré-émerger. Cette note présente les principaux mécanismes au travers desquels le changement climatique influe sur les maladies animales, redéfinissant ainsi les risques sanitaires et leur cartographie. Elle propose aussi des pistes pour l’action publique afin d’anticiper et de mieux gérer, à différentes échelles, ce défi de santé publique vétérinaire et humaine[1].
Depuis la seconde moitié du xxe siècle, les progrès en matière d’hygiène et de médicaments ont changé le rapport aux maladies infectieuses. Alors qu’elles étaient auparavant l’une des causes principales de la mortalité dans le monde, leur prévalence et leurs effets sur la santé ont été réduits, notamment grâce à la diffusion de solutions pharmacologiques telles que les vaccins et les anti-infectieux.
Sous l’influence du changement climatique et des transformations qu’il induit au sein des écosystèmes[2], des maladies « du passé » réapparaissent : tuberculose dans les pays occidentaux, liée à des mouvements de populations dont certains découlent du changement climatique, paludisme et choléra à la suite des inondations dramatiques au Pakistan à l’été 2022[3]. Les populations animales sont impliquées dans ces processus épidémiques complexes. De nombreuses maladies infectieuses, dites « zoonotiques », reposent en effet sur des transmissions d’agents pathogènes entre animaux et humains. De plus, les maladies animales peuvent porter atteinte aux systèmes agricole et alimentaire ou à la biodiversité. L’impact du changement climatique sur les maladies animales se répercute ainsi sur la santé publique et sur la sécurité alimentaire, au travers de la fragilisation de l’état sanitaire des cheptels, tandis que ses conséquences sur les populations sauvages impactent la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes.
Cette note fait le point sur les impacts actuels et potentiels du changement climatique sur les maladies animales, et sur les défis qui en découlent pour l’action publique. La première partie met en évidence les effets sanitaires de l’évolution des conditions de vie des animaux et des pathogènes imputable au changement climatique, et la transformation des écosystèmes qu’il induit. La deuxième partie souligne, à travers quelques illustrations, les conséquences contrastées du changement climatique en santé animale selon les régions du monde. Enfin, la dernière partie discute des pistes d’action et d’adaptation : réseaux de surveillance, action des agences sanitaires, etc.
1) Emergences et réémergences de maladies animales sous l’effet du changement climatique
Le « changement climatique » désigne l’ensemble des variations des caractéristiques climatiques « attribuées directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale »[4]. Définis comme « les aléas associés au climat, l’exposition et la vulnérabilité (propension d’un système à être affecté de manière négative) » (id.) les impacts du changement climatique sur les humains et les animaux sont fonction de paramètres multiples et interdépendants, à l’origine de fortes incertitudes.
Le changement climatique se manifeste en premier lieu par la hausse de la température moyenne résultant de l’élévation de la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre (principalement CO2, N2O et CH4). Il entraîne aussi, à diverses échelles, des modifications plus circonscrites dans l’espace et dans le temps : désertification, déplacement des traits de côte, accélération du cycle de l’eau, multiplication des événements extrêmes (sécheresses, vagues de chaleur, inondations), etc. L’existence de ces causalités multiples, de possibles ruptures et boucles de rétroaction, complexifie l’analyse et contraint l’action publique.
Un impact direct sur la physiologie des animaux
Le changement climatique peut avoir des impacts directs sur la physiologie des animaux : les sécheresses et les vagues de chaleur provoquent un stress thermique, source de souffrance, de déshydratation, de troubles cardio-respiratoires parfois mortels, etc. Ces effets se manifestent par des pertes de poids, des troubles de la reproduction, des changements de comportements qui, à terme, menacent l’état sanitaire général des populations animales et peuvent altérer les rendements productifs des cheptels. Les maladies non transmissibles (troubles métaboliques ou reproductifs) peuvent ainsi être la conséquence directe des conditions météorologiques, elles-mêmes impactées par le changement climatique. Ces effets peuvent être renforcés pour les animaux d’élevage par l’altération, quantitative et qualitative, de l’alimentation animale lors d’épisodes climatiques extrêmes (sécheresse, canicule, inondations). La baisse des rendements en fourrage, la moindre valeur nutritive des céréales et de l’herbe des pâturages (diminution des concentrations en glucides hydrosolubles et en azote ; augmentation de la lignine et des composants de la paroi cellulaire), les difficultés d’accès à l’eau, etc., sont d’autant moins bien tolérées par les animaux que leur système immunitaire est affecté, notamment lors de fortes chaleurs[5]. Le changement climatique impacte aussi la prise alimentaire des animaux sauvages, rencontrant des difficultés pour se nourrir à cause des transformations du couvert végétal ou de la disparition de certaines proies. Ils doivent alors se déplacer hors de leur territoire habituel, jusque dans des zones occupées par des animaux domestiques ou des humains. Les contacts qui en résultent peuvent être à l’origine de contaminations.
Une redéfinition de la cartographie des risques infectieux
Les conséquences du changement climatique sur les maladies infectieuses sont mieux connues que ses effets diffus sur les maladies métaboliques[6]. Les hausses de températures peuvent favoriser la propagation de maladies parasitaires ou vectorielles[7] et de maladies à réservoir sauvage[8], accélérer le développement biologique de certains pathogènes et accroître leur population, étendre l’aire de distribution des insectes vecteurs et donc l’incidence des maladies associées dans des régions auparavant peu concernées[9]. Le changement climatique peut aussi modifier les cycles des pathogènes, conduisant à une croissance plus rapide de ceux-ci en dehors de l’hôte et à une présence saisonnière prolongée[10]. Les tiques, par exemple, insectes ectoparasites hématophages, sont normalement actives au printemps et en automne, et inactives en hiver. Des hivers plus doux induiraient leur persistance plus longue dans le milieu extérieur (voire continue en France métropolitaine), avec un risque de contamination plus grand par les maladies dont ils sont vecteurs (piroplasmoses, maladie de Lyme). Dans certaines régions, le dégel des sols pourrait également entraîner la libération d’agents pathogènes actuellement sous contrôle (bactérie du charbon (Anthrax) ou virus de la variole), voire inconnus[11].
La hausse des températures moyennes n’est pas l’unique facteur conditionnant l’aire de répartition des maladies vectorielles : pour les maladies transmises par les moustiques, notamment, la pluviométrie est déterminante. Ainsi, les espèces des genres Aedes et Culex se développent à la faveur de forts cumuls de précipitations (correspondant au début de saisons des pluies), suivis de plusieurs cycles d’hydratation/déshydratation. Les modifications locales des conditions climatiques seraient ainsi corrélées aux épidémies de Fièvre de la vallée du Rift (FVR), causée par un virus transmis par ces insectes piqueurs, observées depuis le milieu des années 2000 dans des régions où il était peu ou pas présent (Océan indien, Mayotte)[12], comme l’illustre la figure 1.
Figure 1 - Notifications de cas de fièvre de la vallée du Rift chez les animaux d’élevage (2006-2011)
Source : Dungu B, Anyamba A., 2016, La fièvre de la vallée du Rift : une urgence sanitaire récurrente face à laquelle il faut s’organiser, Dossier de l’OMSA : http://dx.doi.org/10.20506/bull.2020.2.3151
Lecture : l’apparition de cas de FVR chez le bétail indique une extension de l’aire de présence de la maladie au-delà de la zone où elle est présente de façon endémique.
L’altération des milieux de vie facilite les transmissions interespèces
Modifiant les habitats, le changement climatique entraîne le déplacement de populations animales. Localement, des espèces peuvent s’installer dans des zones où elles étaient jusqu’alors considérées comme exotiques. Ces déplacements occasionnent des rencontres entre les espèces, a fortiori en cas de compétition alimentaire : l’émergence du virus Nipah zoonotique, dans les années 1990, est ainsi corrélée avec le déplacement des populations de chauve-souris vers des zones d’élevage porcins, qu’elles ont contaminées. La destruction anthropique des milieux de vie peut contribuer à de tels mécanismes.
Enfin, la modification des parcours ou de la temporalité des migrations animales saisonnières renforce parfois l’ampleur des épidémies, comme dans le cas de l’influenza aviaire. Les oiseaux migrateurs sont présents en plus grand nombre, au même moment, aux points d’eau qui constituent des relais sur les trajets de migration. La diffusion de virus Influenza peut alors être massive et rapide. Par ailleurs, les perturbations causées par le réchauffement peuvent avoir des répercussions sur la santé des populations d’oiseaux migrateurs, mais aussi des espèces aquatiques : les études insistent sur la vitesse des changements à l’œuvre pour les poissons et le phytoplancton, susceptibles d’engendrer un déplacement (latitude et profondeur) et une diminution de la taille de nombreuses espèces de poissons[13].
Le changement climatique entraîne donc des modifications importantes de la physiologie des animaux, des régions dans lesquelles ils sont présents et des mouvements de population, ainsi que des dynamiques épidémiologiques des maladies animales, en particulier lorsqu’existent des vecteurs ou des réservoirs. Il s’inscrit cependant dans des causalités multifactorielles auxquelles participent d’autres facteurs : intensification des élevages et commerce international, déforestation d’origine anthropique et artificialisation des sols, etc. Finalement, les populations animales sont exposées à des risques sanitaires variables à l’échelle planétaire.
2) Des conséquences contrastées à l’échelle mondiale
Le changement climatique modifie la nature et la probabilité de survenue des maladies animales, pour une région donnée. Sous son influence, on constate par exemple que les épizooties dues à des maladies vectorielles sont devenues plus fréquentes, et concernent désormais une plus vaste zone géographique. Les risques sanitaires restent cependant variables d’une région à l’autre. À cette disparité s’ajoutent des conséquences effectives différentes selon les caractéristiques du système alimentaire considéré. Les paramètres contextuels au niveau local, comme la situation épidémiologique des populations animales (domestiques et sauvages), les modes d’élevage, les systèmes de gestion des risques préexistants, influencent l’émergence ou la réémergence des maladies animales[14].
Dans les pays à hauts revenus, la tendance est à la maîtrise des principales maladies infectieuses grâce à l’organisation de la surveillance (réseaux, plans, prophylaxie), à l’encadrement des mouvements d’animaux domestiques, à la vaccination ou à la mise en place d’autres mesures décidées au cas par cas (exemple de la claustration des volailles lors des périodes de migration pour limiter les risques de contamination par les virus Influenza). Cette maîtrise des risques repose sur la capacité des acteurs à financer les activités de santé animale et le manque à gagner des producteurs (perte de revenus des éleveurs, restrictions commerciales, etc.).
Les pays à revenus faibles ou intermédiaires sont généralement plus vulnérables, du fait de moindres capacités à surveiller les maladies animales et à mettre en œuvre des opérations de santé animale pour y faire face. Toutefois, plus que le seul niveau de revenu national, ce sont surtout les caractéristiques du système alimentaire local (notamment en termes de densité des populations animales) qui conditionnent les conséquences du réchauffement climatique (intensité et nature des effets)[15]. Dans les régions d’élevages intensifs et de grande taille, une épizootie peut prendre une large envergure et occasionner des impacts macroéconomiques considérables : les flambées épizootiques sont favorisées par la concentration des individus et la gestion inclut des mesures contraignantes (interdiction de mouvement parfois accompagnée de la dégradation du statut sanitaire au sens de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), abattage). L’ensemble du secteur agricole et commercial peut alors être impacté. Dans les régions où prédomine l’élevage familial de subsistance, les maladies persistent souvent sous une forme endémique susceptible d’occasionner des crises. Seules les exploitations infectées sont alors impactées (maladie ou mort des animaux engendrant des pertes économiques). La figure 2 compare les conséquences de deux épizooties de peste porcine africaine survenues dans des systèmes d’élevage différents.
Figure 2 - Impact économique de deux épizooties de Peste porcine africaine (PPA) selon le mode d’élevage
Source : auteure, d’après Tago et al., 2022, « Evaluation of the economic impact of classical and African swine fever epidemics using OutCosT, a new spreadsheet-based tool », Transboundary and Emerging Diseases, 00, 1-11.
Note : pour l’épizootie de PPA au Nigéria, les chiffres correspondent aux données brutes. Pour l’épizootie aux Philippines, ils reposent sur une modélisation utilisant l’outil OutCosT développé par la FAO et l’université autonome de Barcelone en 2022.
Au niveau local, en se fondant sur les événements constatés dans les dernières années (émergence, épizootie), il est possible d’établir une cartographie des principaux risques en matière de maladies animales, en tenant compte des enjeux climatiques locaux et des caractéristiques du système alimentaire (figure 3).
Figure 3 - Les principales maladies émergentes répertoriées dans les différentes régions du monde, pour lesquelles une corrélation avec le changement climatique est établie
Source : auteure, d’après Carlson C. J. et al., 2022, « Climate change increases cross-species viral transmission risk », Nature, 607, pp. 555-562
Lecture : la coloration correspond à un indice du risque d’émergence de maladies virales transmissibles entre espèces, compte tenu des densités de population et de l’intertransmissibilité des virus circulant localement. Les régions les plus à risque apparaissent en violet/indigo.
3) Quelles actions collectives face aux maladies animales liées au changement climatique ?
Les liens entre changement climatique et maladies animales s’inscrivent dans une interaction complexe entre santé animale et évolutions environnementales, qui inclut des facteurs d’origine anthropique (intensification agricole, mobilité, artificialisation, etc.). Pour cette raison, les actions publiques s’efforçant de prendre en charge le changement climatique et ses conséquences néfastes sur la santé animale sont largement non spécifiques. Elles relèvent d’une approche One Health visant à tenir ensemble les enjeux de santé animale, humaine et écosystémique[16].
Une première stratégie peut ainsi viser à limiter l’émergence et la diffusion des maladies animales en renforçant l’épidémiosurveillance, afin d’identifier les pathogènes, d’intervenir sur les phases de transmission et de limiter les contagions. En France, la plateforme d’Épidémiologie en santé animale (ESA) assure ce rôle de surveillance et d’alerte précoce.
Le caractère transfrontalier des épizooties encourage cependant à envisager l’action collective à une échelle internationale, comme le soulignait déjà en 2008 un rapport de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), encourageant à renforcer les réseaux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). Les organisations internationales ont en effet développé, depuis plusieurs années, des réseaux permettant aux pays, par l’intermédiaire des services vétérinaires, d’émettre des alertes lorsque des maladies réglementées sont diagnostiquées. C’est le cas du réseau World Animal Health Information System (WAHIS) de l’OMSA, consacré à l’information zoosanitaire de l’OMSA, qui existe depuis 2005. Cette fonction de surveillance est d’autant plus importante qu’elle permet d’identifier au plus tôt les transmissions interespèces (environ 75 % des maladies émergentes sont zoonotiques[17]) et qu’elle conditionne l’ensemble des activités de gestion : ainsi, le réseau mondial d’expertise de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur les influenzas ou grippes animales (OFFLU) est consacré au suivi des souches de virus Influenza chez les animaux (oiseaux, équidés, porcins, etc.). Leur analyse permet d’élaborer annuellement des recommandations pour la mise au point des vaccins, y compris chez l’humain.
Si les réseaux d’épidémiosurveillance mondiaux permettent d’envisager les maladies animales et leur dynamique, en lien avec les changements environnementaux, l’échelon régional permet une analyse plus spécifique aux enjeux climatiques. Par exemple, le réseau Animal Risk, déployé dans la zone océan Indien entre 2009 et 2015, a permis de récolter des données concernant la répartition spatio-temporelle d’un ensemble de maladies animales (dont virus Influenza, FVR, PPA, etc.), dans l’ensemble des pays concernés (Union des Comores, Madagascar, Île Maurice, Seychelles et France (Réunion, Mayotte)).
Le renforcement de ces outils de collecte de données pourra contribuer à des programmes de recherche visant à mieux comprendre le nexus santé animale-changement climatique-biodiversité[18], dans la perspective d’une gestion intégrée de type One Health. De nombreux travaux scientifiques montrent la synergie entre biodiversité et santé animale, ou entre biodiversité et changement climatique, mais les relations et mécanismes sous-jacents restent encore mal connus[19]. Dans ces conditions, il importe d’accorder une haute priorité à ce champ de recherche afin que les activités relevant des stratégies d’adaptation et d’atténuation du changement climatique n’aient pas d’effets négatifs sur la biodiversité, comme le recommande un rapport conjoint des experts de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et du Groupe international d’experts du climat (GIEC). Par exemple, les opérations d’assistance aux migrations (oiseaux, poissons), qui recourent à l’introduction d’espèces exotiques, peuvent provoquer ou faciliter la diffusion de maladies animales.
Ces organisations internationales devraient également piloter les initiatives d’actions de terrain, non seulement en organisant les réseaux d’épidémiosurveillance, mais aussi en facilitant les alertes. La standardisation des signalements (via, notamment, les programmes de certification des services vétérinaires), la compatibilité des outils (notamment numériques), ou encore le découplage des systèmes d’alerte et des notifications de préoccupations commerciales (pouvant entraîner des sous-signalements) permettront d’améliorer la réactivité des autorités sanitaires. Par ailleurs, une plus grande transversalité entre santé animale, santé publique et écosystémique, pourra améliorer la performance économique et la durabilité de l’agriculture, et les stratégies nationales visant l’atteinte des objectifs des Accords de Paris en matière d’atténuation du changement climatique. Les travaux de la FAO[20] montrent ainsi que la mise en place de programmes de santé animale (lutte contre les parasitoses intestinales, campagnes de vaccination, etc.), permettent à la fois d’augmenter la productivité (gains parfois supérieurs à 50 %) et de réduire les émissions de gaz à effet de serre par les animaux d’élevage (jusqu’à 80 %). Dans cette perspective, la santé animale ne représente plus uniquement une vulnérabilité au changement climatique, mais aussi un levier dans les stratégies pour y faire face. Les acteurs de terrain devront ainsi prendre une part active au développement de telles solutions. Dans ce cadre, les partenariats des organisations internationales avec des agences nationales/régionales[21]pourront permettre de mobiliser un plus grand nombre de parties prenantes.
Enfin, une gestion efficace des risques nécessitera de développer la prévention et l’assurance : diffusion des bonnes pratiques au niveau des élevages, maillage territorial vétérinaire, dispositifs d’atténuation des pertes économiques, etc. La Banque mondiale, par exemple, a mis en place, en collaboration avec l’OMSA, des programmes pour aider les pays émergents à faire face à ces menaces[22]. Elle a également développé des contrats d’assurance permettant aux éleveurs de surmonter les risques financiers liés à la perte de troupeaux en cas d’épizooties majeures, dont certaines sont dépendantes du climat. Les modalités d’assurance découlent des statuts épidémiologiques des pays, en fonction des standards de l’OIE. L’ensemble de ces activités devront s’intégrer dans des stratégies transversales, souples et évolutives, visant à améliorer la santé animale dans un contexte de transformation multifactorielle de l’environnement. L’initiative PREZODE (Prevention of the emergence of zoonotic diseases), lancée en 2020 sous l’impulsion de la France, est, à ce titre, un exemple d’organisation internationale à l’interface entre science et politique, visant à la fois l’action et l’amélioration des connaissances.
Conclusion
Les impacts du changement climatique sur les maladies animales sont de plus en plus pris en considération, depuis une dizaine d’années, mais le sujet est complexe et beaucoup de phénomènes restent encore mal connus. Des données épidémiologiques plus complètes sont nécessaires pour observer, étudier et modéliser les impacts directs et indirects, et mieux comprendre les processus en jeu. Des études prospectives intégrant différentes hypothèses de hausse des températures, et prenant en considération les interactions entre biodiversité, santé animale, climat, activités anthropiques (dont agriculture) seront indispensables pour éclairer les choix en matière d’action publique. Différentes échelles de coopération devront être utilisées pour améliorer la surveillance et l’anticipation de l’évolution des maladies animales. Si la coordination mondiale est incontournable, compte tenu de leurs dynamiques de diffusion, des partenariats régionaux plus étroits affineront les connaissances spécifiques aux relations entre maladies animales et changement climatique.
En matière d’actions de lutte contre les maladies, des solutions adaptées au contexte, en particulier en ce qui concerne les systèmes d’élevage, devront être élaborées afin d’améliorer le statut sanitaire des populations animales, mais aussi d’augmenter la productivité des élevages et de limiter leur contribution aux émissions de GES. La santé animale apparaît donc à la croisée des stratégies de santé publique, de sécurité alimentaire, de protection de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique.
Louise Dangy
Centre d’études et de prospective
[1]Cette note utilise certaines contributions de Madeleine Lesage, qui a travaillé sur un sujet similaire lorsqu’elle était membre du CEP.
[2]GIEC, 2018, Résumé à l’intention des décideurs. Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, 32 p.
[3]Organisation des Nations unies, Pakistan : après les inondations, l’OMS craint les épidémies liées aux maladies hydriques, septembre 2022 : https://news.un.org/fr/story/2022/09/1126441
[4]Nations unies, 1992, Convention cadre sur le changement climatique, FCCC/INFORMAL/84, article 1.
[5]Özkan Ş., Teillard F., Lindsay B., Montgomery H., Rota A., Gerber P., Dhingra M., Mottet A., 2022, The role of animal health in national climate commitments, FAO : https://doi.org/10.4060/cc0431en
[6]De La Rocque S., Hendrikx G., Morand S. (eds), 2008, « Changement climatique : impact sur l’épidémiologie et les stratégies de contrôle des maladies animales », Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 27 (2).
[7]Une maladie vectorielle est une maladie dont l’agent infectieux (virus, bactérie, protozoaire ou helminthe) est transmis par un vecteur (insecte ou acarien hématophage). Voir Rodhain F, 2007, « Impacts potentiels du changement climatique sur la santé : l’exemple des maladies à vecteurs », dans Changements climatiques et risques sanitaires en France, ONERC, Paris, pp. 65-71.
[8]Dufour B. et al, 2008, « Global change: impact, management, risk approach and health measures. The case of Europe », Rev. Sci. Tech. Off. Int. Epizoot., n° 27, pp. 529-550.
[9]Wikhydro, 2013, Changement climatique. Invasions et risques sanitaires, consulté le 16 mai 2020.
[10]Rojas-Downing M, Nejadhashemi A, Harrigan T, & Woznicki S, 2017, « Climate change and livestock: Impacts, adaptation, and mitigation », Climate Risk Management, n° 16, pp. 145-163.
[11]Miner K.R., Turetsky M.R., Malina E. et al., 2022, « Permafrost carbon emissions in a changing Arctic », Nat Rev Earth Environ 3, pp. 55-67 : https://doi.org/10.1038/s43017-021-00230-3
[12]Chevalier V., Pépin M., Plée L., Lancelot R., 2010, « Rift Valley fever. A threat for Europe? », Eurosurveillance, 15, pp. 1-11.
[13]Cheung W., Sarmiento J., Dunne J. et al., 2013, « Shrinking of fishes exacerbates impacts of global ocean changes on marine ecosystems », Nature Clim Change 3, pp 254-258 : https://doi.org/10.1038/nclimate1691
[14]Thornton P. K et al., 2010, « Adapting to climate change: agricultural system and household impacts in East Africa », Agricultural Systems, 103(2), pp. 73-82.
[15]Lebouck N., 2019, « Enjeux liés aux maladies endémiques à fort poids dans le Sud », Bulletin de l’Académie vétérinaire de France, Vol. 172.
[16]De La Roque S, 2022, « La sécurité sanitaire internationale : vers une coordination One Health » (chap. 28), dans Gardon S., Gautier A., Le Naour G., Morand S., Sortir des crises : One Health en pratiques, Quæ
[17]Programme des Nations unies pour l’environnement, 2016, Rapport Frontières. Questions émergentes de préoccupation environnementale.
[18]McMichael A. J, 2013, « Impediments to comprehensive research on climate change and health », International journal of environmental research and public health, 10(11), pp. 6096-6105.
[19]Keesing F. et al., 2010, « Impacts of biodiversity on the emergence and transmission of infectious diseases », Nature 468, n° 7324, pp. 647‑652.
[20]Özkan Ş., op. cit.
[21]Par exemple l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), le Centers for Disease Control and Prevention (CDC), le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), etc.), les instituts de recherche (Centre de coopération internationale en recherche agronomique (CIRAD) ou Institut de recherche et développement (IRD).
[22]Swiss Re, 2017, Closing the insurance gap in livestock.