Granulés
Xavier Remongin / agriculture.gouv.fr

25 mars 2024 Info +

Valorisation des produits et coproduits végétaux issus de la transition agro-écologique - Analyse n° 201

Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.

Dans le cadre de la transition agro-écologique, la politique agricole française vise une augmentation conséquente des cultures de diversification, mais leur développement reste encore modeste. Pour l’accélérer, une des pistes serait d’améliorer la valorisation des produits et coproduits qui en sont issus. Afin d’identifier les tendances en la matière, le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a commandé une étude, réalisée par Ceresco en partenariat avec B4C et l’URD ABI d’AgroParisTech1. Cette note en présente les principaux enseignements. Elle indique que pour accroître les surfaces dédiées à ces cultures, dans les prochaines années, il faudrait que les débouchés vers des marchés plus rémunérateurs se développent, à la fois pour la matière brute et les métabolites secondaires.

Introduction

Dans le cadre de la transition agro-­écologique, les prochaines années pourraient connaître un développement des cultures dites « de diversification », riches en protéines ou présentant un fort intérêt agro-environnemental (réduction de la pression parasitaire, fixation de l’azote de l’air, etc.). Ces évolutions sont soutenues par les actions du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (MASA), qui a commandé une étude visant à anticiper les trajectoires possibles, en France, en matière de valorisation des produits et coproduits végétaux issus de ces cultures. Elle a été réalisée par un consortium réunissant Ceresco, B4C et l’Unité de R&D Agro-Biotechnologies Industrielles d’AgroParisTech (URD ABI) » (encadré 1).

Encadré 1 : Démarche et méthodes de l’étude
Le travail réalisé dans le cadre de cette étude a porté sur treize cultures de diversification : sept légumineuses (soja, pois, féverole, lupin, lentille, pois chiche, luzerne), trois oléagineux (tournesol, colza, lin) et trois cultures à vocation non alimentaire (chanvre, lin fibre, miscanthus). L’étude a d’abord fait un état des lieux de ces cultures en France, en procédant à une analyse de la littérature disponible et à des entretiens avec des experts de Terre Inovia (institut technique de la filière des huiles et protéines végétales et de la filière chanvre). À l’issue de cette phase, ont été rédigées des fiches descriptives pour 11 grands bassins de production. Dans un deuxième temps, pour chacune de ces cultures, ont été estimées les valorisations économiques actuelles. Afin de réfléchir à de nouvelles pistes de valorisation, des ateliers de travail se sont déroulés avec un groupe de 25 experts issus d’entreprises de la transformation, d’entreprises semencières, du monde de la recherche et d’instituts techniques agricoles. Enfin, sur la base de ces constats, des recommandations à destination des acteurs des filières et des décideurs politiques ont été formulées.

Cette note présente une partie des résultats de cette étude, en se centrant sur la question de la compétitivité des cultures de diversification par rapport aux autres grandes cultures (blé, maïs, orge, etc.). La première partie montre que leur développement est freiné, malgré une situation favorable, par une rentabilité limitée. La partie suivante s’intéresse aux valorisations actuelles et futures des produits et coproduits issus de ces cultures. Enfin, la troisième partie fait des propositions pour améliorer la valorisation des produits et coproduits issus des cultures de diversification, et renforcer ainsi leur intérêt économique.

1) Les cultures de diversification : un déficit de compétitivité

Les cultures de diversification bénéficient d’un contexte porteur, avec une demande croissante de produits riches en protéines végétales dans l’alimentation humaine et animale, se substituant aux protéines importées. Simultanément, des marchés se développent pour des filières « origine France », « garanties sans OGM » et ayant une empreinte environnementale réduite. Le verdissement progressif des aides de la Politique agricole commune incite les agriculteurs à varier leurs rotations. Enfin, la France affiche des ambitions fortes en matière de surfaces et de valorisation des cultures de diversification, notamment avec la Stratégie nationale en faveur du développement des protéines végétales (doublement des surfaces de légumineuses cultivées entre 2020 et 2030). En ce qui concerne les plantes à fibres, plusieurs éléments pourraient contribuer à leur essor dans les années à venir : certifications de traçabilité et d’origine des fibres végétales pour les marchés textiles, incitation à l’utilisation des matériaux bio-sourcés à faible empreinte carbone dans la construction (Réglementation environnementale RE2020), appui par la commande publique, etc.

Malgré ces tendances, ces cultures sont confrontées à des difficultés techniques, économiques et logistiques qui freinent leur introduction dans les assolements. Hors colza et tournesol, elles représentaient, sur la période 2015-2020, moins de 6 % de la surface agricole utilisée (SAU) nationale (figure 1).

Figure 1 : Part de la SAU consacrée aux cultures de diversification sur la période 2015-2020

Cette figure présente le pourcentage de la surface agricole utilisée consacrée aux cultures de diversification sur la période 2015 à 2020 dans 11 bassins français et en France. Toutes cultures de diversification confondues, ce graphique montre que ces cultures couvrent en moyenne moins de 6 % de la SAU en France. Elles atteignent 16 % de la SAU dans la région du bassin de la méditerranée, moins de 2 % dans le Grand Ouest et autour de 1 % dans les zones intermédiaires.

Source : Agreste, Statistique agricole annuelle, années 2015 à 2020, traitement Ceresco, rapport final de l’étude, page 119

La stagnation des rendements, voire leur baisse sur les années récentes, découle de freins techniques et agronomiques : difficulté à produire du soja sans irrigation, manque de diversité génétique en lentilles et pois chiches, difficile gestion des ravageurs en l’absence de produits phytosanitaires suffisamment efficaces, etc. Ces freins sont renforcés par le réchauffement climatique, qui accentue les stress hydriques et thermiques, tout en créant des conditions plus favorables aux ravageurs.

Sur le plan économique, les prix de vente des cultures de diversification ne sont pas suffisamment élevés pour compenser les rendements plus faibles. Ce constat est surtout valable dans les zones où sont déjà présentes des cultures industrielles (pomme de terre, luzerne, betterave) ou d’autres cultures spécialisées (légumes, semences), qui génèrent elles des marges à l’hectare élevées.

Existent aussi des contraintes de nature logistique, liées à la faible disponibilité d’infrastructures spécifiques. Les produits de ces cultures étant souvent pondéreux, des outils de transformation à proximité des lieux de production sont indispensables (filatures et usines de teillage pour le lin et le chanvre, unités de trituration), de même que des lieux de stockage pour optimiser les flux.

Ces productions sont donc souvent prises dans un cercle vicieux dont elles peinent à sortir : les quantités disponibles sont insuffisantes pour atteindre les volumes critiques aux différentes échelles (locale, régionale, nationale), qui permettraient de rentabiliser les activités de chacun des maillons de la chaîne de valeur. De ce fait, les infrastructures et la recherche amont et aval ne se développent pas.

Le cas du pois illustre bien cette spirale négative. Les rendements de cette culture ont baissé, notamment du fait de l’Aphanomyces, pourriture racinaire causée par un champignon. À ce jour, il n’existe pas de moyen de lutte et aucune variété peu sensible à ce champignon n’est encore disponible. Les fortes variations de récoltes ont donc entraîné une certaine désaffection des organismes stockeurs (OS) pour cette culture, réduisant d’autant ses débouchés. Ils rencontrent des difficultés pour approvisionner les fabricants d’aliments du bétail, pourtant demandeurs, mais qui exigent de la régularité dans les volumes fournis.

2) Des marchés peu rémunérateurs qui limitent l’essor des cultures de diversification

Les valorisations actuelles des produits et coproduits des cultures de diversification concernent principalement des marchés faiblement rémunérateurs comme l’alimentation animale ou l’exportation sous forme brute, sans transformation. À l’inverse, les débouchés pour l’alimentation humaine ou les utilisations non alimentaires, davantage créateurs de valeur ajoutée, sont peu développés.

Les experts interrogés dans le cadre de cette étude ont travaillé sur des hypothèses d’augmentation des surfaces, en accord avec les objectifs affichés par les différentes stratégies nationales et européennes (Stratégie nationale en faveur du développement des protéines végétales, Green Deal, etc.) (encadré 1). Selon les cultures, cela se traduirait d’ici à 2035 par une multiplication des surfaces par 1,5 à 3 (figure 2).

Figure 2 : Surfaces cultivées en 2019 et surfaces projetées en 2035 (selon les objectifs des stratégies nationales et européennes)

Cet histogramme compare les surfaces observées en 2019 et les surfaces projetées en 2035 selon les objectifs des stratégies nationales et européennes pour 10 cultures de diversification. Les légumineuses, dont le pois et le soja, sont les cultures pour lesquelles l’augmentation est la plus importante.

Source : rapport final de l’étude, page 73

Il a ensuite été demandé aux experts de formuler des hypothèses quant aux valorisations futures, sur la base de leurs perceptions des marchés, des tendances observées, des points d’inflexion probables et des développements industriels attendus. Ces estimations ont été réalisées pour 10 cultures, en différenciant 51 valorisations possibles : 22 sous forme native et 29 résultant de procédés de première transformation générant 29 produits et 44 coproduits. Un travail complémentaire a permis d’estimer les chiffres d’affaires, les niveaux de valeur ajoutée et les emplois créés pour chaque valorisation.

Dans ce scénario d’augmentation des surfaces, conforme aux ambitions des stratégies françaises et européennes, la croissance de l’offre serait plus importante que celle de la demande, sur les marchés les plus rémunérateurs (utilisation non alimentaire ou alimentation humaine). Cela signifie que cette offre supplémentaire devrait être valorisée sur des marchés peu rémunérateurs (alimentation animale). Par conséquent, en 2035, les volumes et la part de produits bruts orientés vers la nutrition animale augmenteraient fortement et représenteraient plus de 80 % des surfaces de cultures de diversification (figure 3).

Figure 3 : Affectation des surfaces en cultures de diversification selon l’usage principal en 2035

Cette figure compare les usages principaux des cultures de diversification en 2019 et 2035, selon les projections des experts. Trois catégories d’usages sont considérées : alimentation animale, alimentation humaine et usage non alimentaire. Le graphique montre que la part de l’alimentation animale, représentant un peu plus de 70 % en 2019, pourrait atteindre plus de 80,% en 2035.

Source : rapport final de l’étude, page 80

Cette progression de l’alimentation animale, marché le moins rémunérateur pour les produits et coproduits des cultures de diversification, aggraverait le déficit de compétitivité de ces filières. Dans ces conditions, il est peu probable que soient atteints les objectifs d’augmentation des surfaces cultivées, sauf à trouver des valorisations économiques complémentaires ou alternatives.

3) Vers une valorisation de l’ensemble des composantes de la plante

Dans les prochaines années, une valorisation plus complète des produits et coproduits végétaux issus de cultures de diversification sera nécessaire pour renforcer leur compétitivité. L’étude montre qu’il faudrait investir dans des outils de transformation pour que la valeur ajoutée soit créée sur le territoire national, plutôt que de continuer à exporter la matière première ensuite transformée. Au-delà de cette meilleure utilisation des produits, il sera de plus en plus nécessaire de valoriser les coproduits : ils représentent 40 % des volumes récoltés et seulement 26 % des chiffres d’affaires générés. Cette capacité à dégager de la valeur à partir des coproduits sera cruciale pour la compétitivité des filières, d’autant que l’augmentation projetée en 2035 des surfaces entraînerait un quasi-doublement du volume de coproduits disponibles.

Pour les prochaines années, cinq défis plus précis ont été mis en lumière par l’étude. Ils concernent la concentration en protéines des produits issus de légumineuses, la valorisation de l’huile de soja, la conservation des légumineuses fourragères, la valorisation des coproduits de plantes à fibres et l’extraction des métabolites secondaires.

Élever la concentration en protéines des produits issus de légumineuses

Les protéagineux peuvent être transformés selon deux voies, permettant la concentration de leurs protéines en vue d’une utilisation industrielle. La voie sèche réside en un décorticage suivi d’un broyage et d’un tamisage pour séparer les différents composants. La voie humide consiste à mettre les graines préalablement broyées au contact d’un solvant, dans lequel se dissolvent les principes actifs, qui sont filtrés ou centrifugés pour en extraire les molécules d’intérêt.

Développer les équipements industriels permettant, en France, d’avoir des produits issus de légumineuses concentrés en protéines, est un enjeu de taille : 23 % de la féverole et 44 % du pois produits dans notre pays sont aujourd’hui exportés sous forme brute, faute d’avoir pu être transformés sur le territoire national.

Si de nombreux projets existent en Europe (Allemagne, Pays-Bas, Danemark, etc.), la dynamique semble plus limitée en France. Quelques développements sont toutefois en cours, stimulés notamment par le lancement en 2020 de la Stratégie nationale en faveur du développement des protéines végétales et par les financements associés. Ils concernent essentiellement la concentration par voie sèche. Dans la plupart des pays précités, la concentration par voie humide reste d’ailleurs cantonnée au pois, avec une valorisation de la partie protéique pour l’alimentation humaine et la cosmétique. Deux coproduits résultent de cette concentration : de l’amidon et des fibres. L’amidon est utilisé comme ingrédient dans les procédés agroalimentaires (agent texturant et émulsifiant), comme excipient en pharmacie et dans l’industrie de l’emballage pour ses propriétés filmogènes. Les fibres sont pour partie utilisées comme agent texturant mais elles restent majoritairement incorporées dans l’alimentation animale. Une possibilité serait d’appliquer la voie humide à de nouvelles matières premières, la fèverole en priorité.

Mieux valoriser l’huile de soja

Les réflexions prospectives menées dans le cadre de l’étude amènent à tabler sur un triplement des surfaces en soja, en France, à l’horizon 2035, dans un contexte de forte demande pour l’alimentation animale. 90 % du soja est consommé sous forme de tourteaux, dont l’obtention génère de l’huile. Les potentialités de valorisation de la fraction oléique du soja sont discutées et il paraît donc nécessaire d’étudier cette voie de façon plus approfondie, car les projections réalisées conduisent à une croissance forte des volumes d’huile de soja, de 15 000 tonnes aujourd’hui à 57 000 t en 2035. Ce qui resterait malgré tout très inférieur aux quantités d’huile de colza (1 800 000 t) et de tournesol (475 000 t) actuellement produites.

L’huile de soja est principalement utilisée en alimentation animale, sans avoir de caractéristique différenciante par rapport à d’autres huiles. Les fabricants d’aliments s’accordent néanmoins sur le fait qu’ils pourraient absorber cette croissance des volumes d’ici 2035, mais le rapport de prix avec les autres huiles restera le principal facteur de décision pour son intégration dans les aliments.

Pour améliorer la valorisation économique de l’huile de soja, une piste serait de développer le raffinage, dont un des coproduits est la lécithine de soja, émulsifiant employé par l’industrie agroalimentaire dont la production est très réduite en France. Cette huile végétale raffinée est peu utilisée en alimentation humaine car les habitudes culinaires privilégient d’autres huiles végétales. Elle peut être incorporée à certaines recettes des industries agroalimentaires, mais cela reste rare. Elle pourrait enfin être transformée pour produire de la vitamine E, du phytostérol ou de l’huile de soja époxydée plastifiante (ESO/ESBO) à usage industriel (plastiques).

Conservation et logistique des légumineuses fourragères

La tendance est au développement des légumineuses fourragères, notamment de la luzerne. Des cahiers des charges sans OGM et promouvant l’origine locale des protéines végétales, pour l’alimentation des animaux, sont en pleine expansion, incitant les éleveurs à se tourner vers cette légumineuse. Dans les prochaines années, des difficultés (logistiques, etc.) risquent pourtant de survenir, pour connecter cette production croissante avec le marché de l’alimentation animale.

Il y a deux utilisations principales de la luzerne après récolte. La première, qui représente de l’ordre de 80 % des volumes récoltés, est constituée du foin et de l’ensilage. Difficilement transportables, ces produits sont autoconsommés ou vendus à proximité des lieux de récolte. La seconde utilisation nécessite une usine de déshydratation proche (80 km maximum), afin de réaliser des granulés ou des balles déshydratées. Ces usines requièrent des investissements importants et chaque unité doit valoriser a minima 10 000-20 000 t. Elles ne sont présentes que dans certaines régions : Champagne crayeuse, Bassin parisien, ouest Bretagne, Poitou. La production de légumineuses fourragères augmente donc globalement en France et les filières sont bien structurées, mais à certains endroits seulement, avec des déficits structurels dans certains bassins et des excédents dans d’autres.

Entre le séchage à la ferme et la déshydratation industrielle, il n’existe pas pour l’instant de solutions intermédiaires éprouvées. Des techniques alternatives, plus facile à amortir, de dimension intermédiaire (2 000 à 5 000 t de fourrage sec), pouvant être disséminées sur le territoire, restent encore à mettre au point.

Des innovations organisationnelles sont aussi à l’étude pour optimiser la mise en marché avec intermédiaire (projet chez Limagrain) ou via des transactions directes entre céréaliers et éleveurs (cas du GIEE Envilait en Côte-d’Or). Des travaux de R&D sont également engagés concernant de nouvelles techniques de fractionnement, au champ ou à l’unité de transformation. L’étude montre enfin qu’il conviendrait de concevoir des organisations collectives et logistiques mutualisant certaines opérations avant expédition (densification des balles, diversité des conditionnements, etc.).

Au total, les experts interrogés considèrent que la filière déshydratation est bien structurée, avec des produits reconnus sur une large palette de marchés en France et à l’export, mais qu’elle ne parviendra à absorber que 2 des 5 Mt de légumineuses fourragères supplémentaire qu’ils anticipent d’ici 2035. Des innovations de rupture sur les procédés de transformation et la logistique seront donc nécessaires, compte tenu des tailles critiques des outils et des hauts niveaux d’investissements à rentabiliser. Au-delà, dans un contexte de hausse du prix de l’énergie, il sera nécessaire de mettre au point des techniques de transformation moins énergivores.

Mieux valoriser les coproduits des plantes à fibres

Le développement des filières de plantes à fibres (lin et chanvre) exige de réfléchir à la valorisation de leurs coproduits : chènevis du chanvre (c’est-à-dire la graine) et anas de lin (parties ligneuses de la paille).

Chaque hectare de chanvre génère de 0,5 à 1,5 tonne de chènevis. Il est majoritairement valorisé en oisellerie-pêche, mais ce marché limité ne pourra pas absorber les volumes liés à l’augmentation des surfaces cultivées (+ 19 000 t de chènevis d’ici 2035). La valorisation du chènevis est pourtant indispensable à la compétitivité du chanvre par rapport aux cultures concurrentes (colza, tournesol, etc.). Le marché du chènevis comme source de protéines en alimentation humaine émerge à peine en France, alors qu’il est bien développé outre-Atlantique. Pour le favoriser, une solution serait d’intégrer cette culture au plan protéines.

Les anas de lin représentent actuellement 60 % de la matière sèche produite par la filière, mais moins du quart de la valeur créée. Avec 250 000 t supplémentaires projetées d’ici 2035, leur meilleure valorisation serait un point crucial du renforcement de la filière. Ils sont principalement utilisés dans les panneaux de particules (cloisons, portes coupe-feu, etc.), dont le marché devrait rester stable. Des bétons d’anas de lin ont été développés récemment : la coopérative L.A. Linière a lancé en 2023 Bâtilin, un bloc à maçonner en béton de lin. La valorisation comme source d’énergie (combustion), quant à elle, nécessiterait de renforcer l’organisation de la filière afin de répondre aux enjeux logistiques, les anas étant de faible densité.

Améliorer l’extraction des métabolites secondaires

Les métabolites secondaires sont synthétisés par les organismes végétaux, pour leur défense (molécules colorées, odorantes) ou leur « communication » (attirer des insectes, échanges intra-espèce). Il s’agit majoritairement de composés phénoliques (terpénoïdes et alcaloïdes), constituant des molécules bioactives intéressantes pour une valorisation industrielle. Il y a trois façons d’obtenir ces molécules : par synthèse chimique, par voie biotechnologique ou par récupération de la biomasse végétale.

L’URD ABI d’AgroParisTech a passé en revue la littérature scientifique concernant cette dernière voie. Il apparaît que de nombreuses molécules d’intérêt sont présentes dans les cultures de diversification, pour des domaines d’application variés : pharmacie, nutraceutique, conservation alimentaire et cosmétique, biocontrôle, etc.

Toutefois, des freins à la valorisation de ces composés existent : faible concentration qui induit des coûts d’extraction élevés, complexité des procédures d’autorisation de mise en marché, volumes minimums nécessaires, concurrence des mêmes molécules obtenues par voie biotechnologique. Cependant, quelques succès inspirants concernent l’extraction de protéines et de composés phénoliques à partir du son de la moutarde, ou l’utilisation du son de riz pour en extraire de l’acide férulique (précurseur pour la synthèse de la vanilline).

Pour chacune des cultures étudiées, il serait utile d’identifier les procédés par lesquels des molécules d’intérêt pourraient être concentrées, afin de mieux valoriser les coproduits. Cela est d’autant plus important que les métabolites secondaires d’intérêt sont souvent localisés dans l’enveloppe des graines, aujourd’hui mal exploitée.

Conclusion

Cette étude visait à anticiper les tendances possibles, en France, en matière de valorisation des produits et coproduits végétaux issus de cultures de diversification promues par la transition agro-écologique. Au regard de la diversité des sujets abordés, les projections réalisées et les valorisations envisagées ne dégagent que des grandes trajectoires permettant d’identifier des pistes de réflexion et des facteurs clés pour le développement de ces filières.

Malgré un contexte favorable aux protéines végétales, ces cultures sont encore peu introduites dans les rotations et leur faible rentabilité n’encourage pas l’augmentation des volumes. La création de valeur, à tous les maillons de ces filières, sera une condition indispensable de leur développement futur. Le développement de débouchés suffisants sera également nécessaire, si on veut éviter que les volumes supplémentaires produits, résultant des objectifs fixés dans les différentes stratégies nationales, ne se retrouvent finalement écoulés sur les marchés à faible valeur ajoutée.

Parmi les propositions formulées à l’attention des acteurs de ces filières, les experts insistent sur la nécessité de valoriser plus efficacement toutes les parties des plantes, aussi bien les matières brutes que les produits et coproduits. Pour ce faire, il conviendrait de créer des outils de stockage et de transformation adaptés, pour transformer la matière brute en produits transformés. Il importera aussi de prêter attention aux nouvelles perspectives de valorisation des métabolites secondaires contenus dans ces végétaux, et particulièrement dans leurs coproduits. Ces pistes seront à approfondir pour confirmer la faisabilité technique de l’extraction des molécules d’intérêt et la rentabilité des procédés à mettre en œuvre.

Depuis la date de réalisation de l’étude, un Plan de structuration des filières protéines végétales a été lancé par le MASA en 2022, avec deux volets : un volet collectif visant l’accompagnement de la construction et de la réalisation de projets de filière collectifs et structurants ; un volet individuel pour des « investissements matériels aval » répondant aux objectifs de logistique post-récolte ou de transformation à destination de l’alimentation humaine ou animale. Sous l’effet conjugué de ce plan et d’une dynamique générale porteuse, la structuration de ces filières a progressé pour leur permettre d’engager un positionnement sur les marchés les plus rémunérateurs.

Justine Hamon, Romain Joya
Ceresco

Julie Blanchot
Centre d’études et de prospective


1 Joya R., Hamon J., Tiers L., Ioannou I., Joubert C., 2022, Analyse de tendances de la valorisation nationale des produits et coproduits végétaux, rapport pour le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire