
Diversifier les profils des apprenants dans l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire : enjeux et perspectives - Analyse n°205
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Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.
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La réduction des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et de paysage est une des priorités du ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt. Dans ce contexte, il a financé une étude1 sur les profils des apprenants inscrits dans ses écoles supérieures publiques et sur les évolutions sociales à l’œuvre. L’analyse confirme notamment l’existence d’une hiérarchie sociale et genrée entre les différentes voies de concours, et l’impact des modalités des épreuves sur l’accès aux écoles. Afin de suivre à l’avenir l’évolution des profils, elle propose un nouvel indicateur de diversité sociale.
Introduction
L’accès aux grandes écoles demeurant très fermé aux jeunes issus des catégories les plus modestes, la diversification des publics dans l’enseignement supérieur s’est imposée comme une cause nationale. Dans le secteur particulier des filières sélectives des grandes écoles, les jeunes d’origines sociales favorisées ont une probabilité neuf à dix fois plus élevée d’accéder à une classe préparatoire puis à une grande école que les élèves d’origines sociales défavorisées2.
Le ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt (MASAF) œuvre, depuis plusieurs années, à ouvrir ses écoles à un public d’apprenants diversifié : développement des voies d’accès, financement de dispositifs d’accompagnement des candidats, évolution des épreuves aux concours communs, etc. Souhaitant approfondir son engagement en la matière, le ministère a commandé une étude visant à réaliser un état des lieux de la diversité sociale, géographique et de sexe des apprenants au sein des écoles publiques d’ingénieurs (dites « agro ») et vétérinaires (dites « véto ») sous sa tutelle. Il s’agissait aussi de conduire une réflexion prospective afin d’explorer de nouvelles pistes permettant d’accroître cette diversité au sein des écoles. Réalisé entre décembre 2022 et décembre 2023 par un consortium de cabinets d’études (1630 Conseil, IR2, JL Études et Recherches), ce travail a combiné à la fois une approche quantitative et qualitative (encadré 1).
Encadré 1 - Périmètre de l’étude, méthodes et données utilisées
L’étude a porté sur les dix écoles publiques d’ingénieurs et vétérinaires suivantes3 :
- Institut national des sciences et industries du vivant et de l’environnement (AgroParisTech)
- École nationale supérieure des sciences agronomiques de Bordeaux-Aquitaine (Bordeaux Sciences Agro)
- École nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg (ENGEES)
- Institut Agro Dijon
- Institut Agro Montpellier
- Institut Agro Rennes-Angers
- École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation, Nantes-Atlantique (Oniris)
- Institut national d’enseignement supérieur et de recherche en alimentation, santé animale, sciences agronomiques et de l’environnement (VetAgro Sup)
- École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA)
- École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT)
À noter qu’Oniris et VetAgro Sup dispensent les deux types de cursus, agro et véto.
Organisée en quatre phases, l’étude s’est appuyée sur des auditions d’acteurs, l’exploitation de données du Service des concours agronomiques et vétérinaires, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (données issues de Parcoursup et du Système d’information sur le suivi de l’étudiant (SISE) du Service des statistiques, des études et de l’évaluation du MESR) et du ministère de l’Éducation nationale (MEN) .
En outre, des ateliers de concertation ont permis de recueillir les avis des différentes parties prenantes : étudiants, équipes pédagogiques et représentants des écoles, personnalités qualifiées, etc.
Enfin, trois dimensions de la diversité ont été prises en compte par l’étude : le sexe ; l’origine sociale (professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), au sens de l’INSEE, des deux parents de l’étudiant) ; l’origine géographique (lieu de résidence des parents, classé selon différents degrés d’urbanité et de ruralité à partir des nomenclatures de l’Insee).
La première partie de cette note présente la situation de ces écoles en matière de diversité, au sein de l’enseignement supérieur français. Sont ensuite étudiées les différentes voies d’accès sous un angle de renforcement de la diversification des publics des écoles du ministère. Enfin, la troisième partie s’interroge sur quelques perspectives d’avenir.
La diversité dans les écoles véto et agro
Des écoles socialement peu diversifiées, à l’instar des autres cursus ingénieurs sélectifs
Les écoles véto se positionnent en haut de la hiérarchie des cursus les moins diversifiés socialement, derrière l’École polytechnique (figure 1). Ainsi, à la rentrée 2021-2022, la part des inscrits en quatrième année d’études supérieures dont au moins un des deux parents est cadre s’élève à 71 % en véto, 65 % en agro, à comparer avec un taux moyen de 66 % pour les écoles d’ingénieurs ne dépendant pas du MASAF. Cette proportion est supérieure à celle des cursus universitaires, qui ne dépasse pas 57 % (à l’exception de l’odontologie). Il existe aussi des écarts importants entre les cursus véto et les cursus agro d’une part, et entre les différentes écoles d’autre part. L’ensemble des écoles d’agro affiche une proportion d’inscrits en quatrième année d’études supérieures, dont les deux parents sont cadres, inférieure ou égale à 30 %, quand cette part s’élève à plus de 35 % pour l’ensemble des écoles véto. De même, il y a 20 points d’écart entre AgroParisTech (41 % des étudiants ont deux parents cadres) et l’ENGEES (21 %), et 9 points d’écart entre la moyenne des huit écoles agro (26 %) et la moyenne des quatre écoles véto (35 %).
Figure 1 - Part d’étudiants inscrits en quatrième année d’études supérieures dont les deux parents sont cadres (2021-2022)

Un graphique présente, pour 2021-2022, et école par école, la part en pourcentage d’étudiants inscrits en quatrième année d’études supérieures, dont les deux parents sont cadres. Cette part va de 41 % pour AgroParisTech et VetAgro Sup à 19 % pour Oniris.
Source : MESR, SIES, Système d’information sur le suivi de l’étudiant (SISE), 2021-2022, traitement auteurs
Des cursus largement féminisés
A contrario de ce qui se passe dans les autres grandes écoles d’ingénieurs, les écoles du MASAF sont nettement privilégiées par les femmes et leur part dans les effectifs y est plus importante, comme dans la plupart des formations de l’enseignement supérieur basées sur les sciences du vivant. Ces résultats, connus et identifiés par l’ensemble des acteurs interrogés, sont à mettre en perspective avec les spécialités en terminale générale, où la biologie-écologie est plus souvent choisie par les filles5.
Cette tendance à la féminisation est nettement accentuée dans les écoles véto, qui sont les plus féminisées de l’ensemble des cursus comparables de l’enseignement supérieur (figure 2). À la rentrée 2021, la proportion de femmes parmi les inscrits en quatrième année est de 74 %, contre 66 % pour les écoles d’agro. La féminisation des cursus agro est nettement plus importante que dans les autres écoles d’ingénieurs (28 %) et qu’à Polytechnique (22 %). Elle est toutefois similaire à celle constatée dans les cursus universitaires de sciences de la vie, biologie et santé (66 %), de médecine (70 %) ou de pharmacie (67 %), ce qui est somme toute assez logique car les matières enseignées y sont similaires.
Figure 2 - Répartition sexuée des inscrits en quatrième année d’études supérieures en 2021-2022 selon les filières de l’enseignement supérieur considérées (en %)

Un graphique présente la répartition sexuée des inscrits, en pourcentage, en quatrième année d’études supérieures, en 2021-2022, selon les filières de l’enseignement supérieur considérées. Par exemple, 66 % des inscrits en quatrième année en cursus agro, en 2021-2022, sont des femmes.
Source : MESR, SIES, Système d’information sur le suivi de l’étudiant (SISE), 2021-2022, traitement auteurs.
Note de lecture : 66 % des inscrits en quatrième année en cursus agro, en 2021-2022, sont des femmes.
Des étudiants plus souvent issus des territoires ruraux dans les écoles du MASAF
Socialement peu diversifiées et choisies par une forte proportion de femmes, les écoles du MASAF sont géographiquement plus diversifiées que les autres cursus du supérieur. Les écoles véto et agro se distinguent notamment par une plus faible proportion de jeunes issus des grandes aires urbaines6. En 2021-2022, cette part était de 85 % pour les écoles véto et 84 % pour les écoles agro, contre plus de 91 % pour les autres cursus universitaires et des autres grandes écoles. Les écoles du MASAF accueillent plus fréquemment des jeunes issus de communes appartenant à une couronne d’un pôle urbain et à un territoire considéré comme rural. 38 % des jeunes inscrits en quatrième année d’études supérieures en véto et 37 % en agro sont dans ce cas, alors que cette part ne dépasse pas 27 % dans les autres cursus de l’enseignement supérieur français.
L’ouverture d’une voie post-bac afin d’accéder aux quatre écoles nationales vétérinaires (ENVF), depuis la rentrée 2021, est une stratégie de diversification engagée par le ministère. En termes d’origine géographique des candidats admissibles puis des admis, il semble que celle-ci varie selon les années et qu’aucun département ne se démarque en particulier. Surtout, il semble que les départements accueillant de grandes métropoles ne soient pas avantagés.
A contrario des autres cursus sélectifs de l’enseignement supérieur, notons enfin que les écoles véto et agro accueillent plus souvent des jeunes dont les parents exercent une activité professionnelle dans l’agriculture. Elles offrent donc des opportunités de mobilité sociale à des étudiants traditionnellement peu enclins à s’intégrer dans ce type de parcours. Par ailleurs, l’habitude de plus grande diversité géographique des étudiants, au sein des écoles du MASAF, les incite à renforcer l’accueil d‘étudiants venant de territoires plutôt défavorisés : Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), Zones de revitalisation rurale (ZRR). Néanmoins, l’impact de cette volonté des écoles ne peut être apprécié statistiquement, les données disponibles ne permettant pas de réaliser ce type d’analyse.
Différentes voies d’accès pour diversifier les publics des écoles du MASAF
Depuis de nombreuses années, le MASAF et ses écoles adoptent une politique volontariste visant à accroître la diversification des publics étudiants. Les transformations récentes des voies d’accès à ces écoles et des épreuves proposées aux concours d’entrée témoignent de ces évolutions.
Une spécificité marquée
La multiplication des voies d’accès est depuis longtemps identifiée comme moyen de diversifier les publics au sein des écoles véto et agro. Conscient de cet enjeu, le MASAF a conduit diverses réformes afin d’élargir l’accès à ses écoles (figure 3).
Figure 3 – Principales voies de recrutement des écoles agro et véto7
Voie | Conditions d'accès |
---|---|
A | Bachelier + deux années de classes préparatoires Biologie, chimie, physique et sciences de la Terre (BCPST) |
A-TB | Bachelier technologiques STL (Sciences et technologies de laboratoire) ou STAV (Sciences et technologies de l’agronomie et du vivant) + deux années de classes préparatoires de technologie biologie (TB) |
B | Étudiants en deuxième ou troisième de licence ou titulaire d’une licence. |
C | Étudiants en deuxième année ou titulaire d’un diplôme professionnel à Bac + 2 |
C2 | Étudiants en deuxième année de Bachelor Universitaire de Technologie (BUT) |
D | Étudiants master 1 scientifique pour le concours ingénieur ou titulaires d’un diplôme d’Etat (DE) de docteur en médecine ou en pharmacie ou en chirurgie dentaire ou d’un diplôme national conférant le grade de master pour le concours vétérinaire |
Apprentissage | Étudiants en cursus d’apprentissage pour le concours ingénieur |
Post-bac | Élèves en classe de terminale pour le concours vétérinaire |
Lecture : les voies A à D se déclinent selon les écoles préparées, en –BIO pour les écoles d’agro ou –ENV pour les écoles véto.
Des voies d’accès plus ou moins discriminantes socialement
Les données des concours montrent que les voies sont plus ou moins propices à la diversification sociale. Au début du processus, c’est-à-dire lorsque les candidats se présentent au concours, une hiérarchie des différentes voies d’accès selon les origines sociales peut être établie. Les voies A-BIO et A-ENV concentrent le plus de candidats présentés dont les deux parents sont cadres (respectivement 34 % et 33 % à la session 2022). A contrario, dans les voies C-BIO, C-ENV et de l’apprentissage, ce type de profil est plus rare, avec respectivement 17 %, 23 % et 13 % de candidats présentés dont les deux parents sont cadres. D’autre part, l’apprentissage est la voie qui concentre le plus de candidats dont au moins un des deux parents est agriculteur (13,8 % des présentés, 13 % des admissibles). Concernant la voie post-baccalauréat vétérinaire, la part des candidats ayant leurs deux parents cadres est inférieure (26 %) à la voie A ; elle reste néanmoins élevée et concentre essentiellement des candidats dont au moins un des deux parents est cadre. Elle favorise en revanche une plus grande diversité en matière d’origines géographiques. Au fil de la sélection et des épreuves imposées aux candidats, la part des candidats dont les deux parents sont cadres augmente, sauf pour les voies C-BIO et apprentissage.
L’enjeu du vivier de recrutement
La diversité sociale, géographique et de genre, à l’issue des différentes voies d’accès, reflète en partie celle des publics inscrits dans les formations en amont des concours d’entrée. De ce point de vue, les données de Parcoursup montrent que l’accès après une classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), souvent considérée comme la « voie royale », demeure socialement moins diversifié que les autres voies. Ainsi, 65 % des affectés en CPGE-BCPST en 2023 sont issus des catégories sociales privilégiées (au moins un des deux parents cadres) contre 47 % en BUT, 45 % en licence et 34 % en BTSA.
Les parcours CPGE-BCPST et CPGE-TB sont peu propices à la diversification sociale. En outre, ils sont confrontés à une crise d’attractivité et à une baisse du nombre des inscrits. Les données du Service des concours agronomiques et vétérinaires (SCAV) du MASAF montrent que le nombre d’inscrits au concours commun de la voie A-BCPST diminue de 13 % entre 2017 et 2023 pour le cursus agro (A-BIO) et de 12 % pour le cursus véto (A-ENV). Ces évolutions sont confirmées par les données de Parcoursup. Le nombre de jeunes qui ont formulé au moins un vœu pour entrer dans une CPGE a baissé de plus de 4 points entre 2020 et 20228.
Une plus grande ouverture aux candidats issus des autres voies (licence, BUT, BTS/BTSA, apprentissage, post-bac véto) semble favoriser la diversification sociale. En revanche, la filière licence ne favorise pas la diversité géographique puisque les inscrits sont très souvent issus des grandes aires urbaines. En outre, d’après les acteurs interrogés, la proportion d’étudiants en licence qui se présentent au concours est relativement faible. Pour la filière BUT, l’enjeu sera de suivre les effets de la réforme DUT-BUT sur l’évolution des candidats inscrits aux différents concours. Pour les BTS/BTSA, il s’agit plutôt d’inciter les jeunes à rejoindre les classes passerelles qui leur sont proposées au sein des établissements, plutôt que d’ouvrir de nouvelles places au concours. La voie de l’apprentissage, déjà présente, serait à développer encore davantage dans les écoles d’agro. En revanche, le développement d’une voie post-baccalauréat dans ces mêmes établissements reste à évaluer à l’aune de l’objectif de diversification.
Des liens entre épreuves de recrutement, voies et origines sociales
L’analyse des données de concours suggère l’existence d’un lien entre les notes à certaines épreuves et l’origine sociale, mais il est variable selon les voies de concours et la nature des épreuves. Pour la voie A, les notes moyennes les plus élevées à l’écrit sont obtenues par les candidats dont les deux parents sont cadres (notamment les catégories « profession libérale-chef d’entreprise »), et ce pour A-BIO comme pour A-ENV. La corrélation n’est pas significative pour les épreuves de pratique de bio et les travaux d’initiative personnelle encadrée (TIPE), contrairement à celles d’anglais (écrit et oral). Les résultats obtenus aux épreuves orales (dont l’anglais) du concours B-BIO et B-ENV sont également supérieurs pour les étudiants issus des familles socialement les plus favorisées. Ces conclusions sont cohérentes avec celles de la littérature scientifique : les épreuves basées sur les connaissances académiques seraient plus défavorables aux candidats issus des milieux sociaux les plus modestes que les épreuves pratiques. Ils incitent à réviser les modalités des épreuves écrites et orales, notamment dans la voie A.
Pistes pour promouvoir la diversité dans les écoles agro et véto
La dernière phase de l’étude a permis d’identifier différentes pistes afin de développer la diversité des publics au sein des écoles supérieures du MASAF. Parmi l’ensemble des préconisations formulées par les auteurs, trois axes d’amélioration sont avancés concernant : la mesure de la diversité et son suivi dans les écoles ; l’ajustement des voies d’accès ; les épreuves et le déroulement des concours.
Mesurer la diversité étudiante et renforcer sa prise en compte
Compte tenu de l’importance accordée par le MASAF à cette thématique, il apparaît essentiel, dans un premier temps, de faire un état des lieux dans chaque école. L’utilisation de l’Indice de diversité des étudiants (IDE), proposé par l’étude, permettrait de disposer d’une situation de référence et d’un outil de suivi. Pour tenir compte des spécificités et des dynamiques propres à chaque école, celles-ci devraient élaborer une stratégie de diversification à l’échelle de l’établissement, sous la supervision de la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER). Ces stratégies adaptées localement devraient se concrétiser par une feuille de route précisant les actions à suivre.
Par ailleurs chaque école devrait pouvoir s’appuyer sur un « référent diversité », en charge de la mesure et du suivi de l’IDE, de la coordination des actions à mener et du suivi de la mise en œuvre de la « stratégie diversité » de l’école. Le référent diversité serait également chargé de la promotion de ce sujet, en interne et auprès des publics cibles, en menant par exemple des actions de formation et de sensibilisation. Enfin, la mise en réseau des référents permettrait de créer une dynamique collective, afin de favoriser le partage d’expériences ou de résoudre collectivement d’éventuelles difficultés rencontrées en matière de diversité.
Agir sur la répartition des voies d’accès en tenant compte des spécificités des écoles
Ainsi que l’étude a pu le montrer, certaines voies d’accès sont plus favorables à la diversification sociale ou géographique des profils des étudiants. La répartition des places en fonction des voies d’accès est donc un des leviers possibles pour développer l’ouverture à des viviers de jeunes plus éloignés. Cependant, cet élargissement doit tenir compte des spécificités des écoles et être conduit sous la forme d’expérimentations, dans le cadre des stratégies d’établissement et avec l’appui de la DGER. Dans ce contexte, l’ajustement de la proportion d’étudiants admis par la voie post-BTS/BTSA ou de celle de l’apprentissage constitue l’un des leviers les plus facilement utilisables.
Une autre piste de réflexion a été avancée, à partir d’expérimentations menées dans d’autres écoles. En effet, partant du constat que les élèves boursiers sont surreprésentés parmi les 5/2 (passant le concours pour la deuxième fois), HEC et les écoles des Mines-Télécom ont souhaité prolonger le système d’attribution de points supplémentaires (« bonification ») accordés aux 3/2 (passant le concours pour la première fois) lors de la deuxième tentative des boursiers. Ce dispositif pourrait intéresser des écoles du MASAF. Des premières simulations sont fournies dans l’étude9, mais des expérimentations mériteraient d’être conduites et évaluées.
Agir sur les épreuves et le déroulement du concours
Comme l’analyse des notes l’a montré, les matières académiques sont plus discriminantes, à l’encontre des profils les moins favorisés socialement, que celles basées sur la pratique. Une réforme mesurée et progressive du concours de la voie CPGE-BCPST pourrait donc comporter la modification des coefficients les plus ségrégatifs ou l’ajout d’un entretien de motivation10. S’il semble prématuré, à ce stade, d’ajuster les coefficients par épreuve, d’autres actions peuvent en revanche être envisagées pour réduire les biais potentiels. Tout d’abord, il est possible d’intervenir au niveau de la composition des jurys et de la formation des examinateurs, par exemple en recourant à des personnes issues du monde professionnel. En parallèle, elles devraient être formées sur la diversité et ses enjeux.
Le déroulement même des épreuves est une source potentielle de discrimination. Les candidats géographiquement les plus éloignés rencontrent des difficultés spécifiques (déplacement, hébergement, entourage), qui s’accompagnent généralement de frais non négligeables. Pour y remédier, des soutiens financiers (et psychiques) peuvent être recherchés, en mobilisant le réseau des Alumni de ces écoles. Les candidats doivent être accueillis sur les lieux d’examen afin de réduire le niveau d’anxiété de ceux ne bénéficiant d’aucun repère ni assistance. En parallèle, il pourrait être opportun d’identifier de nouvelles épreuves pouvant être organisées à distance, grâce à la visioconférence, afin de diminuer les frais annexes pour passer le concours, à l’image de ce qui a été mis en place pour les épreuves non académiques de la voie post BTS/BTSA.
Au-delà, des cursus de préparation (académique et méthodologique) pourraient être déployés à destination des futurs candidats aux écoles agro et véto dans les écoles disposant de classes de BTS/BTSA ou de CPGE-BCPST. Certains établissements, comme l’Institut Agro de Dijon, en proposent déjà dans le cadre de l’appel à projets « Devenir ingénieur, vétérinaire ou enseignant avec un BTSA ».
Conclusion
Les écoles agro et véto relevant du MASAF présentent des spécificités en matière de diversité sociale, sexuelle et géographique des publics formés. Elles ne constituent pas pour autant un ensemble homogène. Largement féminisées par rapport aux autres formations scientifiques sélectives de l’enseignement supérieur, elles accueillent également davantage de jeunes issus de territoires ruraux ou issus du monde agricole. En revanche, à l’instar des autres cursus ingénieurs sélectifs, elles sont peu ouvertes socialement et accueillent davantage de jeunes issus de milieux sociaux favorisés. Elles présentent aussi des spécificités selon le cursus (agro ou véto), selon le degré de sélectivité et leur attractivité, selon les spécialités qu’elles enseignent, leur histoire, leur localisation géographique ou encore leurs débouchés professionnels.
Elles se distinguent aussi des autres écoles d’ingénieurs par les thématiques de leurs enseignements et par les métiers auxquels elles préparent. Or, c’est peut-être en promouvant l’ingénierie du vivant – au sens large – que l’on pourrait développer l’attractivité des formations et accroître la diversité des apprenants de ces écoles. Néanmoins, les ajustements apportés aux concours ou aux différentes voies d’accès auront une efficacité réduite, en matière de diversification, si les lycéens d’origine modeste n’optent pas plus fréquemment pour des spécialités scientifiques, particulièrement les mathématiques qui facilitent l’accès aux cursus menant aux écoles du MASAF.
Bertrand Moineau, Laurène Nicolas
1630 Conseil
Julien Calmand
JL, Études et Recherches
Isabelle Recotillet
IR2
1 - JL Études & Recherches, 1630 Conseil, IR2, 2024, Étude sur la diversité et la diversification sociale et géographique des apprenants des écoles publiques d’ingénieurs et vétérinaires relevant du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, rapport pour le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, 348 pages : https://agriculture.gouv.fr/etude-sur-la-diversite-et-la-diversification-sociale-et-geographique-des-apprenants-des-ecoles
2 - Bonneau C. Charousset P., Grenet J., Thebault G., 2021, Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ?, Rapport IPP n° 30.
3 - Les écoles privées sous contrat avec le MASAF, de même que l’École nationale supérieure d’agronomie de Toulouse (ENSAT) et l’École nationale supérieure en agronomie et industries alimentaires (ENSAIA), sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), n’ont pas été retenues dans le champ de l’étude.
4 - Sauf exception, la plupart des données utilisées sont celles des années 2021 et 2022.
5 - Dauphin L., 2023, Les choix d’enseignements de spécialité et d’enseignements optionnels à la rentrée 2022, Note d’information, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance.
6 - Ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci (Insee).
7 - Au commencement de l’étude, les arrêtés ministériels en vigueur, régissant les concours d’accès aux formations d’ingénieur et vétérinaire, étaient ceux d’août 2019. De nouveaux arrêtés ont été publiés en novembre 2023, au moment de terminer l’étude. Seuls les textes de 2019 sont pris en compte ici.
8 - Cette baisse est toutefois plus légère pour ceux qui ont formulé un vœu dans une « prépa scientifique » : BCPST, TB, PTSI, MPSI, PCSI, MP2I.
9 - Rapport final pp. 135 à 140.
10 - Cette proposition a soulevé des doutes de la part des personnes rencontrées, qui ont parfois été confrontées aux réticences voire à l’opposition de certains acteurs des CPGE.
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