Prendre soin du sol : un impératif de la transition agroécologique
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À Genouillé, dans la Vienne, Dominique Gaborieau a déployé dans son exploitation céréalière de nombreux leviers de la transition agroécologique : sols couverts en permanence, non-labour, rotations longues, diversification des cultures, plantations de haies… Pour toutes ces initiatives, il a obtenu le prix de l’innovation des Trophées de l’Agroécologie 2021-2022.
« J’ai presque l’impression de pouvoir sentir, quand je mets les pieds dans une parcelle, si le sol va bien. » La qualité du sol : voici la préoccupation première de Dominique Gaborieau depuis son installation en 2004. Suite au décès de son beau-père en 2014, il a réinventé l’exploitation céréalière familiale, au sud de Poitiers, dans une démarche agroécologique. Il se fixe un double objectif clair, dès le départ : assurer de bons niveaux de production et de rentabilité, tout en limitant l’impact de son activité sur l’environnement.
Une troisième voie entre le bio et le conventionnel
Ce changement de paradigme tient en un sigle : ACS, pour agriculture de conservation des sols. Une sorte de troisième voie entre le biologique et le conventionnel, qui s’appuie sur trois piliers : la couverture permanente des sols, le semis sans labour, et la rotation des cultures. « Le système classique, alliant labour, sols nus et utilisation massive de produits de synthèse, est à bout de souffle », estime Dominique Gaborieau. « J’en avais la conviction depuis longtemps, puis un jour ça s’est débloqué en moi. J’ai ressenti le besoin de me réapproprier l’agronomie, de chercher d’autres façons de faire. » Un changement qui ne s’improvise pas : il a suivi de nombreuses formations pour acquérir les connaissances nécessaires, et il est en échange constant avec d’autres agriculteurs engagés dans une démarche similaire.
Aujourd’hui, il met en œuvre sur près de 400 hectares de nombreux leviers de l’agroécologie. Rotation longue pour ne pas épuiser le sol, mélange de cultures complémentaires (colza et féverolles, par exemple), plantation de haies et de bandes enherbées pour favoriser la biodiversité, mais aussi couverts végétaux systématiques (mélange de millet, trèfle, seigle, tournesol, pois, féverole, vesce, nyger) : tout au long de l’année, y compris entre les cultures, le sol des parcelles n’est jamais nu. Si les céréales comme le blé tendre, le sorgho ou le colza constituent l’essentiel de sa production, il a fait une place importante aux plantes protéagineuses (féverole d’hiver, pois de printemps, vesce…), dont le pouvoir de fixation de l’azote lui permet de limiter sa consommation d’insecticides et d’engrais de synthèse azotés. Toutes ces pratiques sont vertueuses en matière de stockage du carbone dans le sol : par l'intermédiaire de l'entreprise belge Soil Capital, il a ainsi commencé à émettre ses premiers certificats carbone.
50% de produits phytosanitaires en moins
« Dans l’agriculture de conservation des sols, on ne s’interdit pas l’utilisation des produits de synthèse. Sans eux, il nous est impossible de maintenir de bons rendements », précise Dominique Gaborieau. « Le glyphosate en est un exemple : il nous est indispensable, à petite dose et à des moments bien précis, dans le cadre de la rotation avec des couverts végétaux. » L’agriculteur exprime une vraie fierté de pouvoir maintenir de bons niveaux de production, d’assurer cette mission nourricière, tout en protégeant l’environnement. En dix ans, il estime avoir réduit de près de 50% sa consommation de produits phytosanitaires.
Sa démarche passe aussi par une collaboration étroite avec les éleveurs de son entourage : deux élevages d’ovins viennent pâturer sur ses parcelles en couverts végétaux, il a mis en place des échanges luzerne/fumier ou paille/fumier avec des éleveurs bovins. Trois apiculteurs ont pu installer leurs ruches sur son terrain : il réutilise une partie du miel produit, sous forme diluée, comme apport d’oligoéléments et de sucre pour ses cultures. Une façon de développer du lien entre exploitants, et de créer des échanges économiques bénéfiques à tous.
« Je passe beaucoup de temps à expliquer mes pratiques »
Pour Dominique Gaborieau, il ne s’agit pas seulement d’améliorer ses pratiques agricoles et de transformer son métier de fond en comble, il s’agit aussi d’en faire la pédagogie. « Je passe beaucoup de temps à expliquer mes pratiques. Aux voisins, qui viennent parfois jeter un œil et poser des questions, mais aussi aux élèves des lycées agricoles qui nous rendent visite », précise-t-il. « Tout est en train d’évoluer, le métier se transforme grâce aux nouvelles données dont on dispose. Le changement doit venir des agriculteurs eux-mêmes. » Engagé dans divers organismes (réseau EcoPhyto auprès de la coopérative Ocealia, AGROSOL 86), il plaide pour une meilleure formation des agriculteurs aux pratiques agroécologiques et à la conservation des sols, qui nécessitent un bagage technique conséquent pour ne pas mettre en péril la viabilité économique des exploitations.
Pour lui, le développement de ces méthodes vertueuses passera aussi par une meilleure reconnaissance. Malgré une certification Haute Valeur Environnementale (HVE), il reconnaît avoir parfois du mal à convaincre les acheteurs du bien-fondé de sa démarche. « Auprès du grand public, l’agriculture de conservation des sols ne bénéficie pas d’une reconnaissance suffisante », regrette-t-il, « même si, du côté des coopératives, on sent que le changement est en bonne voie. »
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