#EGalim : « Il faut avoir un regard à la fois global et local sur l'agriculture »
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François Collart-Dutilleul est juriste, spécialiste du droit de la sécurité alimentaire et professeur émérite des Universités. En 2009, il a été à l'initiative du programme Lascaux, un projet international pour lutter contre la faim dans le monde. Passionné et défenseur d'une alimentation saine et de qualité pour tous, il est aussi l'actuel directeur de publication du site de l'Observatoire de la restauration collective locale et durable. Rencontre dans le cadre des États généraux de l'alimentation.
Quels sont les enjeux à relever par l'agriculture ?
Ils sont de plus en plus clairs. À mon sens, l'enjeu principal est de retisser des liens forts entre l'agriculture, la nature et la nourriture. Pour beaucoup d'entre nous, quand on regarde notre assiette, on ne voit plus ni les paysans, ni les paysages, mais simplement un aliment. Et cet aliment, on doit pourtant y réfléchir en termes d’environnement, de santé publique, de solidarité, d'impact sur le climat… Aujourd'hui, on voit bien que les problèmes internationaux s'invitent dans nos assiettes et dans le métier d'agriculteur.
Le « manger local » est-il la solution miracle ?
Je crois que tout le monde est conscient que, demain, on ne mangera pas seulement ce qui est produit à côté de chez soi. D'abord parce que les géographies sont très différentes : certains ne mangeraient pas beaucoup, d'autres trop ou pas assez équilibré. Il faut reconcevoir l'agriculture en ayant sur elle un regard à la fois global et local. On ne réussira à rien sans un équilibre entre les deux. Ça n'a jamais été fait… et il faut le faire ! Nous ne savons pas encore comment, mais nous commençons à l'expérimenter.
Vous êtes un fervent défenseur du droit à l'alimentation...
Oui, qu'il ne faut pas confondre avec le droit de l'alimentation, c'est-à-dire notamment la sécurité sanitaire et la qualité... Domaines où nous sommes très forts en France et en Europe, et où nous sommes sans doute parmi les meilleurs du monde. Le droit à l'alimentation, c'est autre chose. C'est la possibilité pour chaque individu d'avoir accès à une alimentation suffisante, équilibrée, saine, de qualité et choisie. C'est la définition que la FAO donne. Nous en sommes loin, et en France, et dans les pays en développement.
C'est-à-dire ?
Quand on voit, chaque année, le nombre de personnes, de plus en plus important, à avoir besoin des associations d'aide alimentaire, on se rend compte que la partie n'est pas gagnée en France. Et que dire alors de l'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique où on a par centaines de millions encore aujourd'hui des personnes qui ne mangent pas suffisamment ou de manière équilibrée. Cela montre que le système que nous avons appliqué jusqu'à présent a des faiblesses encore trop considérables.
Comment pouvons-nous l'améliorer ?
Il faut changer le système. Parce qu'ils sont vitaux, il me paraît impératif de cesser de traiter les produits agricoles comme des marchandises ordinaires. Créer une exception agricole serait un bon début. Il faut également que la population soit associée à la manière dont la nourriture qu'elle consomme est produite. Ce n'est pas qu'une question d'experts, c'est aussi une question d'accès de la population à la décision. C'est ce que j'appelle la démocratie alimentaire. Et il faut la promouvoir.
Selon vous, est-il nécessaire de légiférer ?
Oui, à mon avis, toutes ces questions doivent passer par l'élaboration d'une loi d'ajustement des ressources et des besoins. Elle est complémentaire à cette autre grande loi de l'économie, que tout le monde connaît, qui est celle de l'ajustement de l'offre et de la demande. Mais cette dernière loi ne fonctionne que si l'offre est suffisamment concurrentielle et si ceux qui demandent ont de l'argent pour acheter !
Auriez-vous un exemple à donner ?
Pour ajuster les ressources locales et les besoins, il faudrait pouvoir privilégier un approvisionnement local. Or, ce n'est pas possible, en particulier dans le cadre de la restauration collective... qui représente pourtant un budget de 17 milliards d'euros par an pour 3 milliards de repas. En effet, le code des marchés publics interdit en principe de retenir l'origine géographique comme critère de choix. Il reste que des solutions existent et que de plus en plus de collectivités mettent en œuvre des politiques publiques locales innovantes...
Que proposez-vous concrètement ?
Au niveau d'un territoire, il y a des ressources locales et des besoins locaux : on peut les mettre en perspective. C'est une façon directe de soutenir le tissu économique de l'agriculture du territoire et de maîtriser l'environnement. Et pour ce qu'on ne peut pas produire localement ou en suffisance, on recourt au commerce national ou international. Il s'agit d'ajuster habilement, de manière équilibrée, le cœur du libéralisme qui est l'offre et la demande, et le cœur de la solidarité des territoires qui est un ajustement des ressources avec les besoins. C'est un pari de l'intelligence.
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