Pacte et loi d’orientation et d’avenir agricoles : la note de problématique
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Les femmes et les hommes qui font la production agricole, chefs d’exploitation comme salariés, sont le fondement de la souveraineté alimentaire de la France. Ils sont ceux qui nourrissent la société. D’ici 10 ans, après avoir dédié leur vie active à produire, 166 000 exploitants ou co-exploitants agricoles seront partis à la retraite, soit plus d'un tiers d’entre eux. Dans le même temps, le secteur agricole peine à recruter des salariés, alors même que la part du salariat dans les exploitations agricoles est de plus en plus importante.
La France doit donc penser et planifier un renouvellement historique de génération d’actifs en agriculture, indispensable au maintien de son potentiel de production.
Ceci intervient à un moment où la société et les actifs agricoles sont et seront confrontés à un ensemble de défis climatiques, économiques, environnementaux, sanitaires et sociétaux considérables et sans précédent. De leur capacité et de notre capacité à faire face à ces défis dépendra la souveraineté alimentaire de la France. Le renouvellement d’actifs en agriculture est une opportunité pour y répondre, à condition de s’emparer de la responsabilité collective d’accompagner chacune des femmes et chacun des hommes qui seront la nouvelle génération pour réussir des transformations sans précédent. Cet accompagnement est à construire pour chaque parcours, pour chaque territoire, pour chaque projet d’entreprise et pour chaque métier.
I/ Un pacte et une loi annoncés le 9 septembre 2022 par le Président de la République
Le 9 septembre 2022 le Président de la République annonçait le lancement d’une concertation nationale pour construire un pacte et une loi d’orientation et d’avenir agricoles. Pacte et loi s’inscrivent dansles objectifs stratégiques de renforcement et de reconquête de la souveraineté alimentaire française et de planification écologique de la France. Celle-ci repose par ailleurs sur d’autres politiques fondamentales qui demeurent prioritaires telles que celles axées sur la juste rémunération, la résilience aux aléas climatiques, sanitaires et économiques et l’optimisation de la ressource en eau.
La souveraineté alimentaire française se fonde sur l’activité des femmes et des hommes qui font la production agricole, dans sa diversité. Pacte et loi d’orientation et d’avenir ont ainsi pour ambition d’assurer le renouvellement des générations, et de mobiliser ce renouvellement pour accélérer l’adaptation face au changement climatique et la transition agroécologique.
Quatre axes prioritaires :
- l’orientation et la formation ;
- l’installation en agriculture ;
- la transmission des exploitations agricoles ;
- l’adaptation au changement climatique et la transition agroécologique grâce à l’innovation et l’investissement.
Trois mois après cette annonce, près de 100 organisations agricoles, éducatives, environnementales, scientifiques, collectivités, du monde de l’emploi et de l’innovation… ont été rencontrées, les études et analyses existantes ont été recueillies et une méthode de concertation a été construite. Sur la base de ces préparatifs, le processus de concertation est lancé le 7 décembre 2022 par le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, en lien étroit avec les Régions.
II/ Anticiper l’avenir de l’agriculture française de 2040 pour mieux accompagner ceux qui la font et la feront
Penser l’avenir, c’est tout d’abord regarder avec lucidité les grandes transformations en cours ou à venir. C’est acter que les agricultures françaises de 2040 ne seront pas les mêmes que celles de 2022 à l’échelle des territoires, des entreprises agricoles et des métiers. Différentes trajectoires sont possibles, mais certaines évolutions sont indéniablement structurantes et appelleront à des transformations importantes pour que la France reste souveraine et compétitive, et produise une alimentation saine, de qualité et accessible.
Pour appréhender la situation actuelle et les tendances sur une base objective et partagée, un ensemble de 23 fiches repères a été élaboré et servira de base à la concertation. Les éléments principaux sont résumés ci-après.
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L’agriculture connaît un choc démographique : 100 000 exploitations ont disparu entre 2010 et 2020 et la tendance devrait se poursuivre à un rythme de 1,2% par an d’ici 2030 si rien n’est fait. Concomitamment l’agriculture pourrait perdre entre 35 000 et 72 000 Equivalents temps plein d’ici 2030 (sur 660 000 en 2020). Par ailleurs, le départ de 166 000 exploitants ou co-exploitants à la retraite d’ici 2030, ne peut être compensé par un flux d’installation situé depuis le début des années 2000 entre 12 500 et 14 000 exploitants par an. Dès lors, un tiers des exploitants de 60 ans ou plus ne connaissent pas le devenir de leur outil de production pour les trois années suivantes, ce qui engendre un risque de sous-investissement dans les outils et dans les transitions.
Cette baisse démographique a une conséquence sur le dynamisme des territoires ruraux et sur les emplois induits.
Le nombre d’élèves et apprentis dans l’enseignement agricole se destinant à des emplois agricoles se stabilise après des années de déclin, sans permettre d’atteindre un renouvellement générationnel complet des actifs.
Le niveau de formation initiale des exploitants s’élève graduellement depuis les années 1990 et la formation tout au long de la vie se développe depuis 2010. C’est un avantage comparatif réel pour l’agriculture française. L’accélération de cette dynamique est centrale pour consolider la compétitivité et la capacité des acteurs à relever les défis.
Socialement, l’origine des actifs agricoles se diversifie : la proportion des installations hors cadre familial et de personnes non issues du monde agricole (NIMA) est croissante sans être encore majoritaire au plan national. Cette situation est diverse selon les territoires. Issus de familles d’agriculteurs ou non, tous ces nouveaux actifs sont une chance pour le renouvellement des générations. Ils devront davantage être orientés, formés et accompagnés pour concevoir et réussir leurs projets.
Globalement le rapport au travail en agriculture rejoint celui de l’ensemble de la société. Les attentes portent sur des horaires compatibles avec la vie familiale et sociale, l’obtention d’un CDI et la stabilité des revenus. La constitution d’un patrimoine devient une aspiration secondaire et l’activité agricole est parfois vue comme une étape de la vie professionnelle.
La relation agriculture-société se complexifie. La société porte un regard positif sur les agricultrices et les agriculteurs. Pourtant, sa perception de l’agriculture a tendance à se dégrader car elle l’associe à des risques environnementaux et sanitaires, avec un bas niveau de confiance dans les capacités de changement dans les prochaines années. Ce regard sur l’agriculture pèse sur l’attractivité du secteur au-delà des questions de revenu, en influant sur l’orientation scolaire et professionnelle.
Les attentes de la société envers son agriculture évoluent fortement, avec des injonctions qui peuvent être contradictoires et masquer des enjeux forts (telle la capacité à fournir une quantité suffisante d’aliments) ou qui ne sont exprimées que par certains groupes sociaux. Une augmentation des situations locales de conflits d’usage sur les facteurs de production est le reflet d'une difficulté croissante de gestion des biens communs à l’échelle territoriale. Cette tendance pourrait s’accroitre, exacerbée par la pression du changement climatique et l’érosion de la biodiversité. Cela vient amplifier le mal-être ressenti par certains agriculteurs.
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L’ensemble des transformations de l’agriculture se fera dans un contexte de changement climatique rapide, avec des effets négatifs déjà perceptibles et qui vont s'accentuer à l'avenir, mais aussi avec des opportunités à saisir et de nouveaux leviers de changement.
L’évolution des températures, des pluviométries et des phénomènes extrêmes a et aura des conséquences directes sur les sols, les cycles végétatifs, les rendements, les calendriers de culture, avec des déplacements des espèces et des essences, et une importance toute particulière des questions hydrologiques : disponibilité, qualité et localisation de la ressource. Les impacts varieront selon les territoires et les spécialisations productives, mais partout ces nouveaux défis réclameront de nouvelles adaptations, de nouvelles qualifications et compétences, de nouvelles solutions techniques et formes d’organisation du travail.
La capacité des futurs actifs agricoles à percevoir et à analyser les situations, puis à se mobiliser collectivement sera déterminante. Les projets d’installation des nouveaux exploitants devront intégrer cette nouvelle donne environnementale, de même que les dispositifs et processus de transmission des exploitations.
L’existence ou non de réponses agronomiques, techniques ou organisationnelles, articulées avec les chaînes de valeur, sera fondamentale. La capacité collective à mobiliser ces solutions le sera tout autant, pour que le monde agricole soit en situation d’accélérer la transition climatique, tant en s’adaptant qu’en contribuant à l’atténuation.
Plus globalement, cette transition pèsera sur les avantages comparatifs nationaux, les chaînes de valeur, les prix et marchés, la place de la France dans le commerce international, mais aussi les opinions et attentes des citoyens sur les responsabilités environnementales de l'agriculture.
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La performance économique et environnementale des exploitations dépendra des moyens de production disponibles et de la manière de les utiliser. Certains sont et seront utilisés de manière plutôt contrainte, dans toutes les filières et régions. D’autres relèveront plus de l’opportunité et des choix stratégiques des exploitants. Dans tous les cas, ces facteurs de production seront déterminants et interdépendants.
C’est le cas d’abord du foncier, avec des questions relatives à la disponibilité en terres cultivables, aux tendances à l’artificialisation et à l’enfrichement, à la qualité et à la santé des sols, mais aussi au prix, au portage du foncier et aux modes de faire-valoir.
C’est le cas ensuite du capital et de la tendance à la capitalisation croissante du secteur agricole. Le facteur énergie sera aussi de plus en plus déterminant, qu’il s’agisse de l’énergie consommée, stockée ou produite par les exploitations.
L’agriculture de demain aura également à penser sur de nouvelles bases ses intrants, qu’il s’agisse d’engrais, des produits phytosanitaires, des semences, de l’alimentation du bétail ou des médicaments vétérinaires.
Enfin, les agro-équipements aideront à augmenter l’efficience des systèmes productifs ou à favoriser de véritables ruptures : robotique et cobotique, agriculture de précision, objets connectés, télédétection, capteurs, etc.
Là encore, le capital humain sera essentiel et le renouvellement des générations aidera à promouvoir des solutions nouvelles, des dispositifs innovants et des logiques productives adaptées aux enjeux : nouvelles modalités de financement des investissements, nouvelles formes sociétaires, innovations socio-techniques et organisationnelles, approche rénovée des coûts de production, du conseil, etc.
Autant d’évolutions et de défis qui s’accompagneront d’une nécessaire élévation des niveaux de formation et de qualification, d’une adaptation des processus d’installation et de transmission, et d’une réflexion ravivée sur les facteurs de production les plus à même de garantir la performance économique, environnementale et sociale des exploitations et le revenu des exploitants.
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L’avenir de l’agriculture française et des actifs agricoles ne pourra être pensé, et se concrétiser, sans une association étroite des enjeux productifs et alimentaires. La vocation nourricière de l’agriculture est constamment affirmée, par exemple avec la crise de la Covid-19, la guerre en Ukraine ou la sécheresse de 2022.
Inversement, cette vocation est fréquemment questionnée, discutée, voire remise en cause, à travers l’artificialisation de terres, la relance de biocarburants et le développement de certaines formes de production d’énergie par les agriculteurs.
Dans tous les cas, les rapports entre offre et demande alimentaires évoluent, et les comportements des consommateurs vont de plus en plus dans le sens d’une « servicialisation » de l’alimentation. Dans le sens aussi d’une politisation de l’alimentation, d’une demande croissante de « transparence » sur les pratiques des agriculteurs et les process industriels.
Les rythmes de vie évoluent : les consommateurs consacrent de moins en moins de temps aux achats d’aliments et à la préparation des repas et ils privilégient une cuisine d’assemblage, réalisée au dernier moment. Les régimes évoluent également, de nouvelles occasions de consommation apparaissent, ainsi que l’alimentation nomade et le snacking. La restauration hors domicile ne cesse de se développer, ainsi que les valeurs « santé » et « naturalité ». Les entreprises de transformation et de distribution orientent ces tendances, tout en dépendant d’elles, et l’ensemble du système alimentaire tend à s’industrialiser, en même temps qu’il s’éloigne de la production agricole de base. Ce nouveau rapport agriculture-alimentation est au coeur des projets d’installation des nouvelles générations.