28 mars 2022 Publication

Les flux logistiques agroalimentaires : l’avenir des modes massifiés

  • Thierry Berlizot et Vincent Steinmetz

Une mission interministérielle a été chargée d’étudier les flux logistiques agroalimentaires et leur impact environnemental.

Bandeau de la lettre du CGAAER du mois de mars 2022

ania.net Rapport de mission interministérielle de conseil n° 20067

Septembre 2021

Mots-clés : logistique, industrie agroalimentaire, décarbonation, GES, report modal, filièrelogistique, industrie agroalimentaire, décarbonation, GES, report modal, filière

Enjeux

La fonction logistique a pris une place essentielle dans l’organisation des secteurs agricole et agroalimentaire avec des contraintes de compétitivité et de flexibilité qui font de plus en plus privilégier le transport routier aux autres modes. Pourtant, la réduction des émissions de GES (gaz à effet de serre) ne peut ignorer ce secteur qui pèse 28 % du transport intérieur.

Une mission interministérielle (CGAAER, CGEDD) a été chargée d’examiner les voies de conciliation possibles entre la compétitivité de ce secteur, objet d’une concurrence économique internationale féroce, et la réduction de l’empreinte carbone de la logistique agroalimentaire. Cet enjeu est d’autant plus important que l’évolution des habitudes de consommation remet en cause certains circuits logistiques et que les contraintes de la crise sanitaire ont montré la nécessité d’une chaîne logistique agroalimentaire robuste et souple.

Méthodologie

La mission interministérielle était composée de trois membres du CGEDD (Michel Pinet, Bruno Depresle et Philippe Gratadour) et deux membres du CGAAER (Thierry Berlizot et Vincent Steinmetz).

Après avoir détaillé les caractéristiques de la logistique agricole et agroalimentaire notamment en parts modales et en émissions de gaz à effet de serre, la mission a analysé les enjeux de la logistique pour les filières constituant l’essentiel des volumes transportés puis étudié les freins et les leviers au report modal ainsi que les effets de différentes politiques sur ce report. Enfin, elle a élaboré des scénarios pour 2030.

Résumé

La logistique des industries agricoles et agroalimentaires (IAA) traite 220 Mt de produits agricoles en provenance de 450 000 exploitations en France et en sortie des établissements de près de 18 000 entreprises agroalimentaires. Très ramifiée, elle achemine jusqu’au consommateur final environ 300 kg de produits végétaux et 150 kg de produits animaux par personne et par an.

L’éclatement croissant de la consommation alimentaire vers une diversité toujours plus grande de produits et la multiplicité des acteurs sont des obstacles importants à la massification des flux logistiques. En conséquence, les parts modales du fer (4,3 % en 2019) et du fleuve (2,2 % en 2019) reculent au profit de la route, à la différence des autres secteurs dont la part modale des modes massifiés est stable depuis 2009.

La logistique représente de l’ordre de 15 % de l’empreinte carbone des activités des IAA et réciproquement, les émissions de GES du transport participant à la logistique des IAA atteignaient en 2019 8,5 Mt CO2e pour les poids-lourds (6,2 % des émissions des transports) et 4 Mt CO2e pour les véhicules utilitaires légers (2,9 % des émissions des transports).

Six filières (boissons, céréales, dérivés de céréales, oléagineux et dérivés, laits et produits laitiers, fruits et légumes) concentrent 80% des flux de transports IAA. À l’exception de la filière laitière et après ajout de l’aval de la filière sucrière, elles utilisent pour une part significative les modes massifiés mais sont quasiment les seules.

La croissance du mode ferré pour les flux de boissons, de céréales, de sucre et de produits destinés à l’alimentation animale est entravée par les strictes conditions de déclenchement des pénalités de retard pour la livraison à la grande distribution, l’absence ou l’obsolescence des raccordements au réseau ferré en origine ou en destination et la diminution de la taille des lots qui rend difficile la composition de trains entiers. Le transport ferré de ces produits présente une bonne compétitivité prix pour les trajets de plus de 200 km mais est fortement pénalisé par son absence de fiabilité et de flexibilité.

La fiabilisation des circulations ferroviaires est essentielle pour une reconquête durable du fret IAA qui nécessite un niveau de service adapté et une pérennité des capillaires.

Présentant moins de problèmes de fiabilité que les trains entiers de produits en vrac, le transport combiné rail-route est appelé à se développer. Cependant, la double rupture de charge et le coût très important des trajets terminaux le limitent pour l’instant à des distances de plus de 600 km.

Bien raccordé aux ports mais limité, le réseau des voies d’eau offre une solution de transport très compétitive et fiable pour certains produits IAA en vrac (céréales, oléagineux) même sur des courtes distances.

Les nouvelles technologies devraient faciliter le développement des modes massifiés sous trois aspects : amélioration de leurs performances, augmentation de capacité des infrastructures existantes et diminution de leur empreinte carbone.

L’accroissement des parts du fer et de la voie d’eau passe aussi par la cohérence des politiques d’aménagement et de transport : coordination des aménagements des zones logistiques et des réseaux de transport, investissements coordonnés des chargeurs et des réseaux, lutte contre la dispersion spatiale excessive des entrepôts logistiques, rapprochement des centres de distribution des consommateurs.

Le développement des circuits courts porte le risque d’un accroissement des émissions liées à la « démassification » des flux que des mutualisations locales pourraient atténuer.

La logistique urbaine (« le dernier km ») est quasi exclusivement routière, créant engorgement et pollution. L’électrification du parc de véhicules utilitaires légers n’apportera qu’une solution partielle. Aussi, d’autres pistes doivent être explorées : plateformes ferroviaires de proximité, utilisation de la voie d’eau passant en centre-ville, acheminement souterrain dans des infrastructures dédiées, mutualisation des flux, report modal vers le vélo cargo.

La prise en compte de la logistique amont et aval dans le champ de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) contribuera à des efforts plus significatifs pour réduire les émissions de la logistique IAA.

La mission estime possible pour 2030 une réduction de 39 % par rapport à 2019 des émissions de GES de la logistique IAA utilisant des poids lourds. Cela dépasse l’objectif de 28 % prévu par la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Cette diminution reposerait sur la décarbonation du parc de poids lourds, l’amélioration de la performance énergétique des poids lourds roulant toujours au gazole, une croissance des flux de transport IAA limitée à 0,5 % par an, l’optimisation de l’utilisation des véhicules par une amélioration de la charge moyenne transportée, un doublement du fret ferroviaire IAA et une augmentation de 30 % du fret fluvial IAA.

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