Évaluation du plan gouvernemental 2003-2013 pour le Marais poitevin
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Rapport de mission interministérielle d’évaluation n°13102 CGAAER - CGEDD
Évaluation du plan gouvernemental 2003-2013 pour le Marais poitevin
Jean-Jacques Bénézit
Juin 2014
Mots clés : Marais poitevin ; zone humide ; marais
© Fédération des parcs naturels régionaux
Enjeux
Le Marais poitevin est un territoire de très faible altitude, apparu au premier millénaire de notre ère après le retrait de la mer du golfe des Pictons. Il a connu d’importants aménagements entre les 16ème et 20ème siècles. La mise en valeur agricole de ce territoire par son dessèchement a été privilégiée presque jusqu’au début de l’actuel millénaire.
Le Marais poitevin est la deuxième zone humide de France après la Camargue, par sa superficie (100 000 ha) et par ses caractéristiques écosystémiques : marais et plans d’eau, tourbières, réseaux de fossés et canaux, prairies, boisements, bocages, roselières, vasières, mizottes (prés salés), lagunes, dunes… C’est un territoire privilégié pour l’habitat de nombreuses espèces d’oiseaux.
Différentes visions de son développement s’y sont confrontées pendant de nombreuses années. Elles ont généré une exceptionnelle production de rapports, expertises, plans, et la création d’autant de structures publiques ou parapubliques destinées à les mettre en œuvre. Les potentialités agricoles (culture des céréales et des oléagineux) exprimées grâce au drainage, se sont en effet heurtées à la préservation des prairies associée à une gestion quantitative de l’eau. Ces antagonismes et l’irruption en 1999 d’un contentieux communautaire consécutif à une mauvaise application de la directive européenne sur la protection des oiseaux, ont nécessité l’arbitrage de l’État et l’engagement, en 2003, d’un plan gouvernemental pour le Marais poitevin.
Dix ans après la signature du protocole qui avait initié ce plan, et quatre ans après une évaluation à mi-parcours, la préfète de région Poitou-Charentes demandait au CGEDD et au CGAAER une évaluation de sa mise en œuvre ainsi que des propositions d’orientations stratégiques pour l’avenir.
Méthodologie
La mission était composée de Philippe Quevremont et Thierry Lavoux du CGEDD, ainsi que de Jean-Jacques Bénézit du CGAAER.
Une évaluation à mi-parcours de la mise en œuvre de ce plan a été établie en mai 2009 par le rapport d’Éric Binet, Alain Escafre et de Françoise Fournié, dont la qualité est très largement reconnue. La mission a donc choisi de s’appuyer sur ce document, en centrant ses efforts sur la période postérieure à sa publication.
Elle a rencontré toutes les parties prenantes, locales, nationales, ainsi que nombre de personnes ressources ayant une connaissance particulière de la problématique du marais. Un travail important de reconstitution des flux de financements a été aussi effectué.
Pour l’élaboration de ses avis et recommandations, la mission a cherché à tenir pleinement compte des recommandations de simplification et d’économie formulées par les plus hautes instances de l’État au moment même où elle élaborait son rapport.
Résumé
La mission a établi un bilan globalement positif des dix ans d’action publique dans le Marais poitevin.
Pour autant, si le plan gouvernemental a permis d’indéniables réussites, en particulier un dialogue renouvelé avec l’ensemble des acteurs du marais, plusieurs sujets n’ont pas connu d’évolution satisfaisante.
Les engagements financiers de l’État et des collectivités locales (régions Pays de la Loire et Poitou-Charentes, départements de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres et de la Vendée) ont été tenus et même dépassés. Au total, les parties prenantes ont déclaré avoir consacré 252 millions d’euros pour les actions en faveur du marais.
Les retenues d’eau de substitution prévues en 2003 et destinées à protéger l’alimentation en eau du marais pendant l’été ont été construites en Vendée (ou sont en cours de construction), mais aucune réalisation n’est effective dans les autres départements.
Par ailleurs, le SDAGE 2010-2015, par sa disposition 7C4, définissait les principes d’une meilleure prise en compte des intérêts de la biodiversité par une gestion régalienne des niveaux d’eau dans le marais. Cet objectif n’a pas été atteint faute, en particulier, d’une méthode clairement définie pour y parvenir. L’évaluation à mi-parcours recommandait d’engager des études pour lutter contre les inondations, ce qui n’a pas été fait.
La connaissance scientifique a bien progressé en matière de fonctionnement des nappes de bordure du marais. Mais les données relatives à l’évolution des prairies humides restent lacunaires pour les surfaces comme pour la qualité de biodiversité.
Les mesures agro-environnementales, facteurs de soutien à l’élevage, ont permis une stabilisation, voire un léger accroissement des surfaces de prairies, sans toutefois atteindre l’objectif quantitatif initial.
Le tourisme a bénéficié d’investissements élevés de la part des collectivités locales.
La mise en place des zones « Natura-2000 » sur 68 000 ha a éloigné le risque d’une nouvelle condamnation de la France par la Cour de justice de l’Union européenne, comme cela avait été le cas en 1999. Mais,les données éparses recueillies par le Syndicat mixte du marais, indiquent une évolution encore peu favorable des milieux protégés. L’évaluation du document d’objectifs (DOCOB), en retard, devrait être une priorité.
Enfin, la gouvernance du plan se révèle complexe et fluctuante. Alors que la coordination du plan est de la compétence du préfet, un établissement public dédié, l’EPMP (Établissement public du Marais poitevin), a été créé en 2011. La réattribution du label de Parc naturel régional (PNR) qui avait échoué en 2008, a finalement abouti en 2014, après la remise du rapport par la mission.
Les propositions
La mission a fait des recommandations qui tiennent compte des contraintes et des principes suivants :
1. l’obligation de respecter les engagements européens de la France en mettant en œuvre les directives « Oiseaux » et « Habitats » et en améliorant la connaissance du fonctionnement des écosystèmes prairiaux à l’aide d’indicateurs aujourd’hui lacunaires ;
2. un principe de hiérarchie des objectifs, la priorité n°1 restant que les populations locales du marais puissent y vivre, préservés des risques d’inondations, et en vivre tout en respectant et protégeant leur milieu naturel – les moteurs de développement quasi uniques du marais étant le secteur primaire (agriculture et conchyliculture) et tertiaire (tourisme) ;
3. un principe de « réalité » avec l’abandon du rêve de l’éden naturel des Pictons qui n’a d’ailleurs jamais existé : le marais a toujours subi l’action de l’homme et les tentatives d’une reconquête « naturaliste » semblent hors de portée ;
4. un principe de bon sens au profit de l’action publique : la complexité administrative et institutionnelle sur ce territoire a atteint un summum qui génère inefficacité et surtout inefficience ; une simplification s’impose, d’autant plus que la puissance publique (État et collectivités) n’a plus les moyens de poursuivre des politiques dispendieuses et peu efficaces.
La mission suggère d’appliquer sereinement d’une manière efficace les directives européennes relatives à l’amélioration de la qualité des milieux, et ce, en écartant l’objectif, manifestement hors de portée, d’une augmentation significative des surfaces prairiales. Seuls des gains marginaux, localisés, sont possibles, et il convient de les favoriser. Cela suppose un travail méthodique en matière hydraulique, en particulier pour prévenir les inondations.
Les aides à l’élevage pourraient être revalorisées dans le cadre de projets locaux améliorant la qualité des milieux prairiaux.
Face à la complexité de la situation, l’État devra néanmoins simplifier la gouvernance de cet ensemble. Il lui appartiendra demaintenir une bonne coordination interne (en particulier dans le domaine de l’eau), et veiller à mobiliser des crédits spécifiques identifiés.
La mission considère qu’il n’est pas opportun de maintenir l’Établissement public du Marais poitevin (EPMP) et le Parc naturel régional (PNR), appelés tous deux à assurer des fonctions de coordination. Dans cet esprit, elle présente trois scénarios :
la réaffirmation de l’engagement de l’État par la création d’un parc national ;
le transfert aux collectivités locales (PNR) et la suppression à terme de l’EPMP ;
la suppression à terme de l’EPMP ;
l’adaptation du rôle de l’EPMP.
La reconquête du label du PNR, événement intervenu postérieurement à la mission, n’enlève rien à la pertinence de ses recommandations.