En Provence, la pistache est de retour
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Incités par les sécheresses à répétition et la nécessité de diversifier leurs productions, des agriculteurs provençaux ont relancé la production de la pistache. Cet arbre rustique, adapté à la chaleur, fait son retour dans le Sud-est de la France après avoir été progressivement abandonné au 20e siècle.
« Structurer une filière, c’est tout un périple ! Avec la pistache, on partait vraiment de rien. » Près de Pertuis, dans le Vaucluse, Benoît Dufaÿ navigue en connaisseur dans une parcelle d’un hectare, encadrée de forêt. Autour de lui, bien en rangs et bien en feuilles, s’épanouissent des pistachiers, une présence presque incongrue dans ces contrées provençales où la vigne est reine.
Ingénieur agronome de formation, Benoît Dufaÿ est le coordinateur technique du syndicat France Pistache, créé en 2021, qui compte un peu plus de cent adhérents, dont 50% en agriculture biologique. Il est né de la volonté d’un groupe d’agriculteurs provençaux de relancer dans la région la production de pistache, dont les principaux producteurs au niveau mondial sont les États-Unis, l’Iran ou encore la Turquie.
Le pistachier, un atout face au changement climatique
Le choix de cette production peut surprendre au premier abord, mais il répond à une logique implacable : originaire des hauts plateaux d’Iran à l’état sauvage, le pistachier présente des atouts majeurs dans le contexte du changement climatique. « C’est un arbre qui a horreur d’avoir les pieds dans l’eau : il a besoin de sols drainants, assez légers, de vent pour sa pollinisation, et il supporte bien la sécheresse et le froid hivernal », détaille Benoît Dufaÿ. Avec l’évolution du climat méditerranéen, son aire de répartition remonte vers le nord : aujourd’hui, la Provence réunit les conditions propices à sa culture.
Pour les agriculteurs, intégrer la pistache dans leur cycle de production permet de diversifier les sources de revenus et de s’adapter au changement climatique. Jean-Louis Joseph, producteur d’huile d’olive et de truffe bio à La Bastidonne (Vaucluse), a été l’un des premiers à franchir le pas en 2018, dans une logique de diversification. « Je me suis lancé sur les conseils d’un ami, Olivier Baussan, fabricant de nougat de Provence, qui importe ses pistaches des États-Unis », raconte-t-il. « Nous avons fait de nombreux essais pour la culture, l’irrigation, le choix de la variété, à la manière d’une ferme expérimentale. »
Dans le cadre des travaux du Varenne agricole de l'eau, la pistache avait été identifiée comme l'une des cultures d'avenir pour le Sud de la France, dans le contexte du changement climatique. Deux raisons à cela : sa résistance à la sécheresse, et son potentiel économique. Télécharger le rapport complet
Tout construire, de l’amont à l’aval
L’expérimentation est le maître-mot : comme pour toute nouvelle filière, il y a tout à construire. Il faut trouver des plants de qualité auprès de pépiniéristes, aider les agriculteurs à monter en compétence avec de la donnée et de la connaissance, trouver l’accompagnement financier… Mais il y a aussi tout l’aval, comme l’explique Benoît Dufaÿ : « La transformation post-récolte nécessite du matériel, des unités de transformation, puis il y a la phase de marché, qui implique d’introduire la pistache française dans les circuits existants. Le travail est hyper-large ».
Ce travail a déjà donné lieu à la rédaction de fiches de culture (taille, utilisation des produits phytosanitaires, fertilisation), d’un itinéraire technique, et à la création d’un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) pour accompagner la dynamique collective.
Des marchés à haute valeur ajoutée pour lancer la filière
Relocaliser la production de pistache en France est cohérent d’un point de vue commercial, avec des marchés porteurs : le premier est le snacking, la pistache de l’apéritif en coque, un marché très structuré suivant un cours mondial avec une forte concurrence américaine et espagnole, et sa déclinaison en circuits courts (marchés de producteurs, vente directe). Il y a aussi la transformation artisanale : les nougatiers, pâtissiers, chocolatiers ou encore glaciers, sont très demandeurs en amandons ou en pâte de pistache. Un marché à haute valeur ajoutée, qui peut contribuer à lancer la filière et à faire connaître la pistache française.
Plantés en 2018, les arbres ont donné en 2022 et 2023 leurs premiers fruits, et le bilan est encourageant. « Les premières récoltes ont posé un premier jalon sur la réussite de la filière », se réjouit Benoît Dufaÿ, « ça nous a montré que ce n’était pas une utopie, que la pistache peut être cultivée dans le bassin méditerranéen français. »Avec l’appui du syndicat, les agriculteurs adhérents améliorent leur connaissance de la culture, développent des méthodes de taille adaptées et de traitement du feuillage, comprennent de mieux en mieux l’intégration de cette culture dans leur terroir. « C’est un travail de longue haleine », résume Benoît Dufaÿ. « Faire une évaluation variétale en arboriculture, s’assurer de la compatibilité d’une variété avec un terroir, c’est dix à quinze ans de travail. »
Objectif IGP
Pour les temps qui viennent, l’objectif est clair : continuer d’avancer dans cette aventure collective, pérenniser la production et assurer les futurs débouchés commerciaux, ce qui pourrait passer par l’obtention d’un signe d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO). « Cela permettra de nous distinguer des pistaches qui arrivent en masse de Californie ou d’Espagne », détaille Benoît Dufaÿ. « On y réfléchit, on y travaille. Ça pourrait être une Indication géographique protégée (IGP), mais dans tous les cas il faudra plusieurs années avant que ça aboutisse. »
La Société du Canal de Provence en soutien pour l’irrigation
Même s’il est bien adapté aux grandes chaleurs, le pistachier a tout de même besoin d’eau pour assurer un rendement régulier. Pour l’irrigation, les adhérents de France Pistache bénéficient des conseils de la Société du Canal de Provence (SCP), acteur majeur de l’eau dans le Sud-est. Cette dernière aide les agriculteurs à choisir le matériel d’irrigation adapté à leurs parcelles et à leurs pratiques culturales, dans une optique d’efficacité et d’économie d’eau : dans le cas du pistachier, le choix se porte en général sur du goutte-à-goutte aérien ou enterré. La SCP peut installer dans les parcelles des stations météo physiques équipées de capteurs (pluviométrie, température sèche et humide, vent) ou dématérialisées, qui permettent à l’exploitant de piloter au mieux son système en anticipant les épisodes pluvieux et les variations de température.