Berger : un métier entre passion et crainte de la prédation
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Fleurine Marcon, 24 ans, et Jade Richard, 29 ans, sont bergères. Chaque été, au moment de la transhumance, elles conduisent leurs troupeaux de brebis Mourérous ou Merinos d’Arles dans le massif du Mercantour (Alpes-Maritimes). Un métier de passion qui requiert une vigilance particulière face au risque de prédation du loup.
« La montagne, c’est génial comme environnement de travail ! » Entourées de chiens, le regard posé sur le troupeau de brebis qui pâturent à quelques dizaines de mètres, Fleurine Marcon et Jade Richard ne cachent pas leur amour de ce métier. Un vallon du nord du Mercantour, près de la frontière italienne, à l’herbe jaunie en ce début d’automne, est le « quartier » où les deux bergères travaillent en ce moment : une zone de montagne délimitée avec précision, qu’elles arpentent avec le troupeau depuis près d’un mois. À la fin octobre, l’éleveur qui les emploie redescendra les brebis dans la plaine jusqu’au mois de juin suivant, et le retour en estive.
Avant de devenir bergère, Fleurine Marcon a cherché sa voie. Bac ST2S* pour devenir infirmière, puis bac professionnel pour devenir bûcheron : il y avait le travail extérieur, qu’elle affectionne, mais il manquait encore quelque chose. C’est à l’occasion d’un stage d’agnelage dans le Cantal, puis sur l’île d’Yeu, qu’elle décide de devenir bergère, et de se former en conséquence. Cela correspondait à son caractère : « J’aime bien être seule, avoir une certaine liberté, être au milieu des grands espaces. Je m’attache à mes bêtes, je les appelle "mes filles"… tout cela fait une passion. »
« Il faut avoir du caractère, aimer cette solitude »
Pour Jade Richard, l’apprentissage s’est fait sur le tas : dans la plaine d’abord, en bergerie, puis progressivement en estive, accompagnée par les conseils de ceux qu’elle appelle les « anciens», les bergers plus expérimentés qui lui ont transmis leur savoir : comment mener les bêtes, mener les chiens, soigner une brebis… Bergère depuis huit ans, elle aime le métier, y compris ses exigences : « Il faut avoir du caractère », précise-t-elle, « il faut aimer cette solitude, se faire confiance… »
Le calendrier des bergers varie beaucoup en fonction des années. Estive de juin à octobre dans les hauteurs, puis garde en colline, agnelage, ou même contrôles laitiers le reste de l’année. Aucune inquiétude du côté du marché de l’emploi : « La demande de bergers est forte en plaine, en montagne… Les éleveurs ont besoin d’aide en toute saison », raconte Fleurine. « On peut facilement trouver du travail via les réseaux sociaux. »
Pour les bergers, le loup crée une tension constante
Pour autant, comme le rappellent les deux jeunes femmes, être berger ou bergère n’est pas une balade de santé. Dans un fond de vallée parfois sans aucun réseau téléphonique, à une heure de marche des premières habitations, on doit gérer seul les imprévus du quotidien : conduite du troupeau lorsqu’il pleut ou qu’il y a du brouillard, maladie ou blessure d’une bête, cohabitation avec les randonneurs…
Au-delà de ces contraintes, la prédation est la préoccupation majeure des bergers et des éleveurs. Le Mercantour est l’un des habitats historiques du loup, dont la population augmente chaque année, et qui peut attaquer seul ou en meute. « J’ai été attaquée une fois vers 19h : une de mes chiennes s’est mise à aboyer et je me suis rendue compte qu’un loup avait attrapé une agnelle au gigot », se souvient Fleurine Marcon. « Je me suis approchée pour le faire partir. Il a lâché la brebis, on s’est regardés pendant une seconde, puis il s’est enfui. Mes chiens lui ont couru après. J’avais les jambes qui tremblaient, c’est une grosse montée d’adrénaline. »
Pour les bergers, la présence du loup crée une tension constante, pour ne pas dire un mal-être, même en l’absence d’attaque. « Après l’avoir vu, ou même aperçu, pendant plusieurs semaines on devient parano, on y pense tout le temps », concède Jade Richard. L’hypothèse la plus inquiétante est que l’animal provoque un mouvement de panique dans le troupeau, conduisant à une chute collective et à la perte de plusieurs dizaines de bêtes. Il y a aussi divers dommages collatéraux envisageables, comme la perte de l’agneau pour des brebis en gestation, à cause du stress lié à l’attaque.
La PAC 2023-2027 prévoit une aide à destination des éleveurs, pour la protection d’ovins ou de caprins. Elle couvre cinq types de dépenses : le gardiennage, l’achat et l’entretien des chiens de protection (comme le patou ou le berger d’Anatolie), les clôtures électrifiées, les analyses de vulnérabilité du troupeau et l’accompagnement technique.
Fournir aux futurs bergers les bons outils face à la prédation
« Les attaques, en tant que berger vous en aurez, il faut s’y préparer, ne pas culpabiliser lorsqu’elles arrivent. » Ainsi s’exprime Frédéric Laurent, responsable de formation au Domaine et Centre de formation du Merle, à Salon-de-Provence. Cet établissement, rattaché à l’Institut Agro Montpellier, forme les futurs bergers : il accueille chaque année une vingtaine d’étudiants, de tous âges et de tous parcours professionnels, dans son Brevet professionnel agricole (BPA) Travaux de la Production Animale, spécialité Élevage de Ruminants, axé sur le cycle de production des ovins transhumants de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de l’arc alpin. Près de 75% des enseignements sont techniques et permettent l’acquisition de compétences professionnelles nécessaires au métier de berger.
Éthologie du loup, historique de la prédation, moyens de protection des troupeaux, gestion des chiens de protection, gestion mentale de la prédation, cohabitation en montagne… L’un des objectifs est de fournir aux futurs bergers les outils, compétences, réflexes, pour faire face au défi de la prédation. « Notre message est simple: on ne rentre pas dans le débat pour ou contre le loup. Il est de retour depuis 30 ans », précise Frédéric Laurent. « Votre objectif en tant que berger est de défendre votre troupeau en utilisant tous les moyens de protection mis à votre disposition par l’éleveur. » La formation intègre une large part d’expériences de terrain, pour permettre aux stagiaires de devenir bergers dès la fin de la formation.
*Sciences et technologies de la santé et du social
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